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Ordination
S. Martin.
Sev. Sulp. c. 7
1 0 1 H i s t o i r e E c c l e s i a s t i q u e .
Σ Mais elle avoit dansles Gaules un puiffant adverfairë
en la perfonne de S. Martin. Le fîege de Tours aïanc va-
■ que, fa vertu & fes miracles le firent defirer pour évêque,
Mais comme on fçavoit la difficulté de le tirer de fon
monaftere, un des citoïens nommé Ruricius feignit que
fa femme étoit malade ; & fe jettant à genoux, lui per-
fuada de fortir. Des troupes d’habitans qui s etoient mi-
fes en embufcade fur le chemin, fe faifirent de lu i , 8{
le conduifirent jufqués a Tours, où étoit accourue ,
non-feulement du païs, mais encore des villes voifines
une multitude incroïable de peuple, pour prendre part
à cette élection. Tous le jugeoient très digne de l’épif-
copat, hors un petit nombre qui s’y oppofoient : même
des évêques. Ils difoientque c’étoit une perfonne mépri-
fable par fa mauvaife mine, fes cheveux mal faits, fon
habit mal propre. Mais le peuple fe mocqua de ces reproches
, les comptant plutôt pour des loüanges. Il fut
même frappé d’une rencontre imprevûë. Lele&eur qui
devoit lire ce jour-là, n’aïant pû percer la foule, un des
aififtans prit le pfeautier & lût le premier paffage qu’il
rencontra. C ’étoit ce verfet du pfeaume huitième: Vous;
avez tiré la loüange de la bouche des enfans, à eaufe
de vos ennemis, pour détruire l’ennemi & le défenfeur,
Car on lifoit alors ainfi ; au lieu que nous lifons à pre-
fent : L’ennemi & le vengeur. Or celui qui s’oppofoiç
le plus à l’éle&ion de S. Martin, étoit un évêque nommé
Defenfor. T o u t le peuple crut qu’il étoit marqué
par ce mot du pfeaume , & que Dieu en avoit permis
la le&ure pour faire connoître fa volonté. Il s’éleva un
un grand c r i, & le parti contraire fut confondu.
S. Martin continua dans lepifcopatfa maniéré de vivre
: confervantla même humilité dans le coeur, la même
pauvreté dans fes habits : faps en avoir moins d’au-
L i v r e s e i z i e ’ m e . 103
torité. Il demeura quelque temps dans une cellule proche
de l’églife. Enfuite ne pouvant fo.uffr.ir la diftraétion
des vifites qu’il recevoit, il fe fit .un monaftere environ
à deux milles hors de la ville, qui fubfifte encore à pre-
fent fous le nom de Marmoutier. C ’étoit alors un de-
fert, enfermé d’un côté par une roche haute & efcar-
pée, de l’autre par la riviere de Loire : on n’y entroic
que par un chemin fort étroit. Le faint évêque y avoit
une cellule de bois: plufieurs des freres en avoient de
même, la plûpart s’étoient logez dans des trous qu’ils
avoient creufez dans le rocher ; & l’on en montre encor
e , que fo n d it avoir été habité par S. Martin. Il avoit
là environ quatre-vingt difciples : dont aucun ne poffe-
doit rien en propre : il n’étoit permis à perfonne de vendre
ni d’acheter, comme faifoient la plûpart des moines.
On n’y exerçoit autre métier que d’écrire ; encore'
n’y appliquoit-on que les jeunes ; les anciens s’occupoient
à l ’oraifon. Ils fortoicnt rarement de leurs cellules, fi
ce ne to it pour s’affembler dans l’oratoire. Us man-
geoient tous enfemble après l’heure du jeûne, c’eft-à-
dire, vers le foir : ils ignoroient l’ufage du vin s’ils n’y
étoient contraints par.infirmifé. La plûpart étoient vêtus
de poil de chameau, c’eft-à-dire, de' gros camelot r
c’étoit un crime d’être habillé délicatement. Toutefois
il y avoit entr’eux plufieurs nobles, élevez d’une maniéré
bien différente ; & plufieurs furent.évêques dans
la fuite. Car il n’y avoit point d’églifes qui ne délirât
d’avoir un pafteur.tiré du monaftere de S. Martin.
JPeu de temps après fon ordination, il fut obligé d’aller
à la cour ded’empereur Valentinien, dont le fejour o r dinaire
étoit dansles Gaules.' Sçachanr queS.Martin ve-
nojt.lui demander ce qu’il ne vouloit pas lui accorder, il
défendit qu’ondedaiffât. entrer dans le palais. Car outre
C c ij
t u l f . dialog. i .
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