
A n . 1113
xxvn.
Ambaflade du
roi Jean au roi de
Maroc.
Mat th. Parti,
An. 204.
1 faire à fon abfolution : puifque félon les loix il falloir
commencer par fayre juger ces feigneurs en fa cour,
avanrfque d’ufer des voies de fait. Le roi fit grand
bruit, & dit qu’il ne differeroit pas les affaires.de fon
roïaume pour l’archevêque, que les jugemens fecu-
liers ne regardoient point : mais l’archevêque déclara
qu’il excommunieroit tous ceux qui porteroient les-
armes en corps d’armée avant la levée de l’interdit.
Ainfi il arrêta le roi, 8 c l’obligea d’ajourner ces fei-
gneurs pour comparoître à fa cour. Le vingt-cin-
quieme d Août de la même année iz'13. l'archevêque
avec les évêques, les abbez, les prieurs, les doïens
& les barons du roïaume s’affemblerent à faint Pauf
de Londres où l’archevêque, nonobftant l’interdit,
permit aux communautez regulieres & aux curez en
prefence de leurs paroiffiens, de reciter à voix baffe
l’office divin dans leurs églifes. En cette affemblée
l’archevêque tira à part quelques feigneurs, & leur fie
lire une charte du roi Henri I. qui ordonnoit le retranchement
de plufieurs abus : ce qui réjoiiit fort
les feigneurs, ilsjurerent en prefence de 1-archevêque
qu’ils combattraient pour ces libertez , s’il étoit befoim
jufques à la mort, &c l'archevêque promit de les y
aider fidellement.
Vers le même temps où le roi Jean traitait avec le
pape, il envoïa très fecretement & en grand diligence
au Miramolin, c’eft à-dire, au roi de Maroc Abou-
abdalla Mahomet quatrième des Almohades. Les envolez
du roi d’Angleterre étoient deux chevaliers
ThomasHerdintbn & Raoul fils de Nicolas,& un clerc
nommé Robert de Londres. Etant admis à l’audience
du. Miramolin „ ils lui expoferent leur charge &
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lui prefenterent la lettre du roi Je an , par laquelle il “ ------------
lui déclaroit, que s’il vouloir le fecounr, il lui fou- N’ I i l^'
mettroit volontiers fon roïaume, pour le tenir de lui
rooïennant un certain tribut, & même renonceroit
à la religion Chrétienne qu’il croïoit fauffe, & embrafferoit
celle de Mahomet. Après qu’un interprète
eut expliqué cette lettre au Miramolin, il ferma un
livre qu'il avoir fur un pupitre -, & aïant un peu penfé
, il dit : Je lifois un livre grec d’un fage Chrétien
nommé Paul, dont les aétions & les paroles me plaifent
fort : mais ce qui m’eu déplaît, c’eft qu’il quitta
la religion dans laquelle il étoit né : j’en dis autant
du roi votre maître, qui veut quitter la loi Chrétienne
fi fainte & fi pure. Dieu fçait, lui qui n’ignore rien ,
que fi j etois fans religion, je la choifirois préferablement
à toute autre.
Enfuite il s’informa de l’état du roi d’Angleterre
& de fon roïaume , Thomas répondit : Le roi eft
très-noble &'defcendu de plufieurs rois. Le païs eft
riche 5 c fertile, manquant feulement de vignes &
d’oliviers : mais on y fupplée par le commerce. Le
peuple eft bien fait, induftrieux & inftruit de tous
les arts. On y parle trois langues, le Latin, le François
& l’Angîois. On appelle l’Angleterre la reine des
iiles ; & elle eft libre de tout temps fous le gouvernement
d'un roi qui ne reconnoît que Dieu pour fupe-
rieur. Notre religion y eft auffi plus floriffante qu’en
aucun païs du monde. Alors le Miramolin dit avec
un grand foupir : Je n’ai jamais lû nioüi dire qu’un
prince poffedant un roïaume fi heureux &c fi fournis,
le voulût rendre tributaire à un étranger. Vôtre maître
eft un miferable 5c un lâche ; 5c aïant appris qu’il