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prit un noir pour marque de deuil , & demeura affis
devant le palais, gémiifant &: fondant en larmes.
Helas, difoit-il, que dois-je attendre de Dieu que
j’ai renoncé : puifque dès à prefent, â .caufe de lu i ,
Simeon mon ancien ami s’eft ainii détourné de moi
fans me vouloir parler ?
Sapor l’aïant appris , envoïa quérir Ufthazadé &
lui demanda la caufe de fon deuil, & s’il étoit arrivé
quelque malheur dans fa maiion. Non , Seigneur
, répondit-il, mais plût à D ieu , qu’au lieu
de ce qui m’eft arrivé , je fufie tombé dans toutes
fortes de malheurs. Je fuis affligé de vivre & de voir
le foleil, que j’ai adoré en apparence, par complai-
fance pour vous. Je mérité la mort à double titre,
pour avoir trahi J . C. & pour vous avoir trompé.
Enfuite il jura le Créateur du ciel & de la terre qu’il
ne changeroit plus de fentiment. Le roi furpris de
ce changement fi peu attendu, n’en fut que plus irrité
contre les Chrétiens , croïar.t qu’ils l’avoient procuré
par des enchantemens. Toutefois la compaffion
qu’il avoit de ce vieillard, le fit paroître tantôt doux,
tantôt cruel pour tâcher de le gagner. Mais Uftha-
zade proteftoit toûjours qu’il ne feroit jamais fi
infenfé, que d’adorer la créature pour le-Créateur.
Alors Sapor revint à la colere, & commanda qu’on
lui coupât la tête. Comme les bourreaux le me-
n oient, il les pria d’arrêcer un peu , parce qu’il
avoit quelque chofe à dire au roi : & aïant appelle
un des. eunuques les plus fideles, il le'chargea de
dire à Sapor : Je n’ai befoin du témoignage de per-
fonne, pour vous aifurer de l’affeétion ayec laquelle
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je vous ai fervi depuis ma jeuneife, & votre pereavant
vous : vous en êtes afféz_ informé. La feule récom-
penfe que je vous demande , eft que ceux qui ne fça-
vent pas le fujet de ma mort, ne croient pas que je
fois puni pour avoir trahi l’état, ou pour quelque
autre crime. C ’eft pourquoi je vous prie , qu’un
crieur public déclare , que l’on coupe la tête à Uftha-
zade , norf comme méchant, mais comme Chrétien ;
& parce qu’il n’a pas voulu renoncer à fon Dieu ,
pour obéir au roi. Ufthazadé voulut ainfi reparer le
fcandale qu’il avoit caufé, en adorant le foleil : & Sapor
lui accorda fa demande croïant épouvanter les
Chrétiens : quand ils verroient qu’il n’épargnoit pas
niême un vieillard, par qui il avoit été élevé, & un
domeftique fi fidele.
Simeon aïant appris dans la prifon le martyre
d’Ufthazade, en rendit grâces à Dieu ;& le lendemain
qui étoit le vendredi-faint, le roi commanda
qu’il mourut auffi par le glaive. Car aïant été encore
amené devant lu i, il avoit parlé très-coura-
geufement de la religion ; & n’avoit voulu adorer,
ni lui ni le foleil. Le même jour du vendredi-faint,
le roi commanda que l’on fît mourir auffi cent autres
Chrétiens prifonniers ; & que Simeon fût exécuté le
dernier, après les avoir vû mourir tous. C ’écoient
des évêques , des prêtres & des clercs de divers
ordres. Comme on les menoit à la mort, le.grand
chef des mages s’avança & leur demanda s’ils vou-
loient vivre & fuivre la religion du prince eq adorant
le foleil. Pas un n’accepta la vie à ce prix ; &
quand ils furent au lieu de l’execution, les bour-
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