
P R A I R I E S .
( Art de faire Sc de multiplier les )
D epux s que l’expérience a convaincu les laboureurs
que plus leurs fermes font abondantes en bef-
tiaux, plus ils ont de fumier propre aux engrais de
leurs terres ; depuis que la vignomanie, ou la fureur
de planter des vignes, a dominé dans certaines
provinces, & qu’elle a détruit les prairies
naturelles pour en faire des vignobles, que le luxe
a augmenté le nombre des équipages, & que la
négligence des canaux de communication par eau
d une province à l’autre a rendu nécelïaires & multiplié
les voitures par terre , il a fallu fe pourvoir
d’un plus grand nombre de chevaux ; ce qui a fait
que lès foins font devenus infenfiblement plus rares
& beaucoup plus chers ; que l’induArie a été forcée
d’imaginer des moyens propres à y remédier , & à
procurer des pâturages abondans dans les lieux qui
en paroiffent le moins fufceptibles.
' Les agriculteurs angloîs , ayant fenti la néceflité
d’établir des prairies artificielles, font prefque les
premiers qui aient mis cet art en ufage ; les profits
immenfès qu’ils en ont. retirés, nous ont portes a
les imiter.
Afin de remplacer les prairies naturelles, & avoir
en tous temps des fourrages aflez abondans pour
luffire à l ’entretien des. divers befiiaux qu’on efl
obligé d’avoir pour les travaux de la campagne ou
l’utilité particulière des payfans , on commença par
defiiner une partie des terres labourables pour y
femer des luzernes, des trefles , de la grande pim-
prenelle' des prés , & autres herbes vivaces ; mais
comme ces plantes ne purent pas venir également
par-tout , on en a cherché une à laquellé tout fol
pût convenir, qui réufsît également bien dans un
terrein froid, humide & argilleux, que dans celui
qui efi fec, aride & fabionneux ; qui eut aflez de
force pour fùrmonter la nature du fol & du climat,
réfîfler à la gelée & aux autres intempéries de l ’air,
& fournir les récoltes de fourrage les plus abondantes
dans les faifons les plus fâcheufes.
Une plante qui réunit en elle autant d’avantages
, & dont les anglois faifoient de fi grands éloges
, fut bien-tôt recherchée par nos plus zélés
amateurs de l’agriculture ; mais comme le nom
anglois de cette plante fignifie à-peü-près le faux
froment, ou la faufle orge, & que noVcultivateurs
ne diflinguoient pas aflez la vraie lignification
de ces mots anglois ray grajf & rye grajfi ils furent
fouvent induits en erreur, & firent venir de
cette dernière graine qui produit un fourrage très-
chétif , au lieu que la première efl de toutes les
herbes propres à la nourriture des moutons, celle
qui les nourrit le mieux, ainfî que les autres bef-
tiaux, foit qu’on la leur donne en verd dans leur
étable , foit qu’ils la pâturent fur la terre qui en
efl enfemencée , foit qu’ils la mangent sèche pendant
l’hiver, parce que dès qu’on a foin de la faucher
peu .de temps après que l’épi a été formé ; elle
efl très-tendre, pleine de*fuc, & que. ce fourrage
efl non feulement très-falubre, mais encore délicieux
pour les chevaux, qui le préfèrent à tout
autre.
Une méprife fèmblable ayant occafîonné Iec
plaintes de nos cultivateurs qui avoient employé la
faufle orge à la place du faux froment, On commença
par méprifer cet excellent fourrage ; & ceux
qui n’en avoient pas de connoiflances particulières
le firent tomber en diferédit.
Quelques-uns de nos agriculteurs crurent avoir
trouvé le vrai ray grajf d’Ângletere, en femant du
faux feigle , dont ils parurent fatisfaits. Quoique ce
; dernier fourrage foit p affablement bon, il efl cependant
bien inférieur au vrai ray grajf, dont les
.raéines multipliées, fortes, croifées èntr’elles & enfoncées
dans la terre , font en état de réfîfler à la
dent des befiiaux lorfqu’ils en enlèvent la tige.
Cette plante, qu’on difli&ghe en deux efpèces ,
en blanche & en rouge, a une texture à-peu-près
femblable dans l’une & dans l ’autre, & ne diffère
..que parles noeuds qui fe rencontrent dans les tiges.
Ceux de l ’efpèce blanche font blancs, & les noeuds
dé l ’efpece rouge tirent fur le brun clair. L ’efpèce
-blanche devient plus grande que la rouge, mais
elle croît moins promptement , pouffe moins de
feuilles , & réfifle moins aux intempéries des faifons
; ce qui lui fait donner Fexcluiïon ' dans la for*'
mation des prairies artificielles.
Toutes les deux viennent très-facilement, n’exigent
pour ainfî dire aucune culture , un feul labour
leur fuffit pour leurs femailJes ; les terres dans lesquelles
on les enfemence n’oxignt point d’engrais
, parce que de towi§p les plantes c’eft celle
qui en a le moins béfoin, & que la terre lui fournit
toujours aflez de focs.
Si cependant on engraifle les terres qui en font
enfemeneées, cette plante y croît plus vite, on
la coupe plus fouvent, elle fournit plus long-temps
à la pâture des befiiaux , & plus elle efl mangee de
près, plus elle repoufle avec vigueur.
Le vrai, temps de la femer efl depuis la moiflon
des bleds jufqu’à la fin d’odobre, pendant le printemps
& tout le mois d’avril. Comme fa graine efl
très-légère, il faut choifîr un temps calme pour la
femer ; & lorfqu’elle efl fur la terre , on y pafîe un
rouleau par deflus.
Ce dernier procédé efl de la dernière importance
dans toutes les prairies artificielles , parce
qu’il reflerre Sc affermit le fo l, qui, par- ce moyen ,
devient moins fujet à être defîeché & plus facile à
faucher.
Dans le cas où l’on veut femer le ray grajf avec
d’autres graines, on peut le mêler, fuivant la nature
du terrein , avec le trefle rouge, ou le trefle
houblonné : alors on a une récolte compofée de
diverfes fortes de fourrages.
Quoique le ray grajf foit le premier fourrage qui
foit en état d’être recueilli, on le fauche cependant
un peu plus tôt ou un peu plus tard , félon que le
temps lui efl plus ou moins favorable. Lorfqu’il efl
femé dans le mois de feptembre, on peut le faucher
au mois d’avril. Comme cette faifon efl celle où les
fourrages, manquent ordinairement, la végétation
prématurée de cette plante efl d’une refîource infinie
pour les befiiaux.
Dans le printemps elle efl d’une très-grande utilité
pour les moutons, comme étant un aliment
très-fain , en corrigeant* les mauvaifes qualités des
herbes qu’ils auroient mangées , & par là en obviant
à bien des maladies auxquelles ces animaux
•font ffijets.
A cette première récolte, on peut en faire fuc-
céder une fécondé , même une trôifîème, & on
fait manger la dernière fur le terrein. Quand on
fauche cette plante à temps, elle fe fane très-aife-
m'ent & ne noircit jamais. De tous les foins, c’eft
celui qui conferve mieux fa belle couleur & fa
faveur.
Cette plante a encore un avantage qui n’eft pas
à négliger, c’eft qu’en l’enfemençant dans des terres
où l’on a laifle multiplier de mauvaifes herbës, elle
les étouffe , les détruit toutes , comme les orties,
parce qü’elle ne fouffre rien auprès d’elle , & qu’elle
veut régner toute feule dans l’endroit où elle efl.
Le meilleur ray grajf vient d’Irlande.. Il vaut
quinze à dix-huit fols la livre. Il en faut quatre-
vingts livres, par arpent mefure de Paris. Le ray
grau de Lorraine ne vaut que fîx à huit fols la
livre, Î1 en faut cent vingt livres par arpent, & on
z le défagrément de voir qu’il ne réuflit pas bien.
L ’expérience à auffi appris que la pimprenelle a
larges feuilles efl propre à donner d’excellentes
prairies artificielles , & qui ont un avantage très-
grand , celui de croître très - bien dans une terre
légère, fablonneufe, pierreufe, calcaire ; on a vu
cette plante fleurir & profiter pendant que tous les
autres pâturages étoient brûles.
C ’eft une nourriture excellente pour les vaches,
les moutons, les chevaux.
Les vaches qui en mangent ont un lait de meilleure
qualité &en plus grande abondance : les chevaux
qu*on nourrit avec les épis de cette plante, la mangent
avec goût & s’entretiennent en tres-bon état,
quoiqu’en leur diminuant la moitié de leur quantité
ordinaire d’avoine. Ces pâturages ont auffi 1 a-
vantage d’être verds pendant l ’hiver. La faifon de
femer la graine de pimprenelle, efl celle où 1 ou
feme l’orge."
Le plus grand art dans l ’agriculture efl de favoir
tirer avantage des diverfes natures de terre: on
peut , dans des terres ingrattes., former d’excellentes
prairies artificielles avec le mélïLot,
Les fuperbes prairies , qui font quelquefois point
de vue autour des châteaux des grands , peuvent,
en même temps qu’elles produifent les plus grandes
richefîès, former le coup-d’oeil le plus agréable ;
il ne s’agit que de difpofer par larges plattes-bandes,
ou tel alignement qu’on defireroit, des plantes de
diverfes couleurs qui fleurifîent en même-temps.
On feme , par exemple, du Un & du trefle : ces
prairies préfe-ntent à la vuë de riches tapis verds,
rayés de bleu célefte , gris de lin , de pourpre , &
bordés par l’une de ces couleurs : on voit de ces
prairies près de Boulogne.
L ’efpèce de prêle nommée cauda equinà , queue
de cheval ou de renard , qui pivote à cinq pieds &
plus en terre , efl auffi incommode qu’abondante
dans les prairies des bas-fonds frais & aquatiques ;
le moyen de Ta faire périr efl de faire ce qu’on fait
pour la fougère, c’eft-à-dire, de la couper fréquemment
lorfqu’elle efl tendre & naiflànte, autant
de fois qu’elle repoufle & qu’elle paroit a la
furface du terrein. On en efl fouvent, par ces
foins , affranchi dans la fécondé année. On l ’a
éprouvé, dit la gazette d’agriculture , en différens
endroits où cette plante avoit pivoté jufqu’à fept
pieds de profondeur.
Faujfe opinion fur lufage des prairies artificielles ;
extrait des affiches de Sens. ■
Je fuis perfuadé qu’on parviendroit à faire durer
plus long-temps-les prés artificiels en les cultivant
avec foin ; mais on tient, & j’en ai l’expérience,
que ces foins-font pernicieux ; il faudrait donc encore
s’attacher , finon à en détruire, du moins à'
en diminuer le danger. Cette efpèce de fourrages ,
& fur^tout la luzerne donnée trop fraîche aux bef-
tiaux, les fait féçher, ou les brûle, comme difent