
P I P ES A F U M E R
( Art de faire les ).
X j a pipe eft un long tuyau délié , fait ordinaire-
ment d’une terre cuite très-fine.
A l ’un des bouts qui eft recoùrbé , elleva un petit
vafe qu’on nomme fourneau , dah-s lequel on
met le tabac pour l’allumer & le fumer.
On fait des pipes de diverfes façons, de cou^c
tes, de longues, de façonnées , d’unies, de ?er-
niflees & de différentes couleurs ; il y en a aufli
d’argent, de bois, -dont le fourneau eft revêtu en
dedans de fer-blanc.
Les turcs y emploient des rofeaux, où des bois
troués comme des chalumeaux, au bout defquels.
ils attachent une elpèce de noix de terre cuite ,
qui fert de fourneau , & qu’ils détachent après'
avoir fumé : les tuyaux de ces pipes s’emboîtent &
le démontent pour être pliés plus commodément-
dans un étui*
Les pipes des nègres font formées d’un fourneau
de terre rougeâtre, qu’ils nommentsackinbo, auquel
ils adaptent pour tuyau un petit rofeau, ou un
brin de fougère\du pays.
Les fauyages fe fervent de calumets induftrieu-
fement travaillés.
La Chine, la Perfe & le Mogol foumifient aux
cabinets des curieux des pipes très-belles & très-
artiftement faites.
L ’ufage de fumer du ( tabac ou quelque autre
plante mordicante efl très - ancien, puifqu’on le
trouve également établi chez les fauvagés, & chez
es nations les plus policées.
Son antiquité eft fî reculée, qu’il feroit difficile
de lui fixer une époque cértaine.
i Les peuples fumeurs , comme les hollandois &
autres, ont cherché à raffirier fur la façon de fumer.
Il y en a qui ,- pour éviter la chaleur de la fumée
qui leur échauffoit la bouche , la font paffèr
par des tuyaux longs , de bois , de métal, & quelquefois
de cuir; d’autres, pour rendre la fumée plus
douce, la font paffer au travers de l’eau.
Ceux qui font un ufage fréquent de la pipe , &
qui l’ont prefque. continuellement à la bouche ,
comme le menu.peuple, & fur-tout les marins ne
fe planent qu. a fumer dans des pipes dont le tuyau
eft fort court, afin que les papilles ’ de leur lanJ
gue , „qui font émouffées par la chaleur de la pipe,
excitènt en eux quelque fenfation par l’âcreté du
tabac.
Ces derniers préfèrent, même pour leur ufage ,
des pipes calcinées par la fumée à des neuves
, & lés achètent fort cher lorfqu’ils peuvent en
trouver.
Les pipes de terre blanche , connues en Europe
foû's le nom de pipes de Hollande, quoiqu’on en
fabrique ailleurs, fe diftinguent en général en pipes
à talon & pipes fans talon, qu’on nomme ca-
jottes ou cackotes, ou pipes à la capucine.
Ces pipes , qui font ordinairement gravées ou
unies , fe divifent, relativement à la groiïeur de
leurs têtes ou fourneaux , en greffes , moyennes &
petites; en croches , c’eft-à-dire , dont l’angle des
têtes fait un angle droit avec les queues ; en demi-
croches , .dont l’inclinaifon des têtes tient le milieu
entre celle des croches & celle des pipes ordinaires
; en guinguettes gravées ou unies, c’eft-à-dire
en~pipes dont le fourneau eft très'-petit; en an-
gloifes, dont le talon eft pointu, au lieu qu’il eft
p-lat dans toutes les autres qui en ont un; en falbala^
ou pipedont le tuyau eft courbé en demi-cercle,
qui eft particulière à là manufaéture de Saint Orner,
& qui ne fort point”du pays-d’Artois.
Selon les divers pays où l’on travaille à faire des
pipes, on fe fert de différentes terres ; mais afin
que les pipes foient blanches, on obferve dans tous
que l’argille qu’on y emploie, ne contienne point
de fer., parce quelle rougiroit à la cuiffon.
t Indépendamment de là fineffe de la terre, qui
fait le principal mérite des pipes , on a une ex-
; trême attention de l’épurer du fable & des pyrites
I qu’elié pourrait-contenir.
Lorfque la terre contient des parties ferrugmeu-
i fes , qui, dans la cuite des pipes , leur procurent
; une couleur rougeâtre , pour détruire cette couleur
ferrugineufe qui, jufqu’ i préfent, avoit paru indef-
truéHble , pour l’empecher de fe développer pendant
la ■ cuite , & pour rendre 1 es'pipes extrêmement
blanches, on peut faire ufage du procédé^que
le fîeùr Charles.-Marie Routfel, manufadiirler de
• ' ( : ■ ' Saint-
Saint-Omer, pratique avec fuccès depuis plus de
quarante ans.
Cette opération confîfte à boucher prefque toutes
les ouvertures pratiquées dans la partie fupérieure
du four, lorfque le feu y eft allumé , & de ne .
point laiffer évacuer la fumée.
Le four étant chargé de pipes, on le tient fermé
pendant trois quarts d’heure , de manière que la
fumée épaiffe, dont le four eft rempli, puiffe noircir
les pipes, ainfî que l’intérieur du fond.
Après les avoir tenues ainfî pendant trois quarts
d’heure , on débouche les ouvertures ; alors le feu
devenant plus a&if, il confume la matière fuligi-
neufe qui eft .dépofée fur les pipes.
Cette opération fe répète d’heure en heure pendant
les vingt-deux ou vingt-quatre heures que dure
la cuite.
Sur la fin de la cuite , on charge le foyer d’une
plus grande quantité de bois qu’à l’ordinaire ; on
■ tient les ouvertures débouchées , on laiffe éteindre
le feu de lui-même ainfî qu’il eft d’ufage dans
toutes les autres manufaétures.
Les pipes, cuites de cette manière, font aufli
blanches que celles de Hollande, au lieu qu’elles
auroient été rouges, fi, à l’ordinaire, on eût laiflé
fortir la fumée par les iffues du four.
L ’ouvrier qui travaille à faire des pipes, commence.
par effayer de fe procurer dans fes environs,
de la terre propre à cet ouvrage.
Il s’en trouve à Foiïày, à Gournay , à la Bel-
lière, & en plufîeurs autres endroits aux environs
de Forges dans le pays de Bray.
Pour les pipes qu’on fait à Rouen ou aux environs
, on tire la terre de Saint-Aubin & de Belle-
boeuf, au bord de la rivière de Seine, à deux lieues
au-defîiis dé Rouen.
La terre à pipe, qui vient de Saint-Aubin & de
Belleboeuf , fe tire de mines profondes de quatorze
à quinze brafles , où l’on pratique des chambres
de dix-huit à vingt pieds de diamètre.
Lorfqu’on eft obligé d’abandonner une mine,
on en ouvre une autre à une petite diftance.
L a terre qui vient du pays de Bray, fe tire à
ciel ouvert, fans aucun danger & avec moins de
peine.
Les ouvriers fe contentent de faire une tranchée
de cinq à fîx pieds de profondeur : cette terre paffe
pour la meilleure de France,
La terre que les hollandois emploient pour faire
des pipes , eft une argille fine & graffe qu’ils font
venir principalement d’Andenne dans le voifinage
de Namur; ils en tirent aufli d’Angleterre , du
Brabant, des environs de Cologne & dli pays de
Arts 6* Métiers. Tom. V f
Liège’; cette dernière qui eft recherchée, fe trouve
à douze ou quinze pieds de profondeur en terre.
On la fait fécher fur les lieux , & on l ’envoie
en Hollande dans des tonneaux qui en contiennent
460 livres..
On mélange quelquefois ces terres fuivant leure
qualités, ou pour ménager celles qu’on tire de l ’étranger
à caufe des droits.
Ces mélanges fe font dans les proportions différentes,
félon que l ’on fe propofe de rendre les-
pipes plus ou moins fines
On vo it, dit un géographe, vers le chemin de
Négrepont, le lieu d’où les turcs tirent la matière
dont ils font les pipes à fumer du tabac.
Ceux , ajoute-t i l , qui jugent qu’il y a de cette
matière dans un endroit, en achètent le terroir du
vayvode , & y font creufer à quinze ou vingt pieds
de profondeur & de la largeur d’un puits ordinaire.
Enfuite ils font defeendre des gens qui tirent une
terre fort blanche qui s’y trouve ; elle eft molle
comme de la cire.
On la travaille, ou fur le lieu même, ou dans
les boutiques avec un couteau, & on la façonne
avec des fers pour en faire des bottes de pipes à la
turque, c’eft-à-dire fans manche, parce qu’on y
ajoute des tuyaux de bois.
Cette terre ainfî façonnée , dit le même auteur ,
s’endurcit à l’air fans la faire cuire, 8c avec lç tems
elle devient aufli dure que la pierre ; ce qui peut
être raifonnablement révoqué en doute , l’air ne
paroiflant point fuffire pour donner à cette terre la
dureté que l’on n’obtient que par le feu.
La terre la plus pefante eft la meilleure & la
moins fujette à fe cafler.
R réparation de la terre.
Lorfqu’on veut préparer de la terre à pipe, oa
commence par la laiffier tremper pendant une demU
journée dans une cuve pleine-d’eau pour la rendre
fouple j& maniable.
On la travaille enfuite avec un loùchet, oiï
inftrument coupant comme une petite bêche,, après
quoi onia met fur une table à l’épaiffeur d’un demi-
pied ; & pour la corroyer, on la bat avec une
barre de fer plus ou moins de temps, fuivant fa
qualité.
Plus la terre eft fine, plus elle a befom d’être
battue pour devenir, maniable & liante.
Le batteur, ou l’ouvrier qui prépare la terre *
en- ote tous les corps étrangers qu’il y apperçoit ;
& lôrfqu’il y trouve du gravier ou des taches ferru**
gineufes, il les met de côté pour fervir au raccoOT-*
modage des pots, Et? b.