
P L A Q U E U R E N A R G I L E
( -Art du )#
L ’ E s c y c l o p é d i e qui a traité l’art du maçon,
& qui va préfenter celui de l’architefte, ne doit
point oublier le travail du plaqueur en argile.
L ’architeéhire ne loge que les grands de la terre ;
la maçonnerie que les gens aifés. Mais le journalier
,-mais le pauvre qui habite la campagne , n’a
pas moins befoin d’un afyle qui le défende & fa famille
des injures de l’a ir, qui lui offre un grabat
où , après les fatigues les plus dures, -il puifle, au
.coucher du foleil, goûter quelques heures de repos.
Si pour former cet abri, il n’avoit de refîource
que dans la brique ou la pierre , fon indigence lui
otant tout moyen de fe procurer des matériaux aufïi
coûteux , & furTtout d’employer les artiftes qui les
mettent en oeuvre , il feroit réduit au fort des animaux
, & Ion habitation feroit un terrier humide
& defîrudeur : mais la nature qui veille à la con-
fervation de tous les êtres, n’a point perdu de vue
cette- clafife précieufe d’hommes.
Prefque par-tout elle a place fous fa main une
terre argileufe qui, préparée convenablement, lui
fournit une demeure à la fois elofe &’ faine.
L ’ouvrier qui travaille cette matière, efl le plaqueur
en argile. Tel eft du moins le nom fous lequel
on le défîgne en Picardie , dans l’Ardréfîs &
les cantons voifîns.
Son art eft de la-plus grande fîmplicité ; quelques
lignes en développeront les détails : mais faifons
éoimoîtrè auparavant l ’efpèce de charpente fur laquelle
il doit opérer ; quoique.fon établiffement lui
foit étranger, ce n’eft point un écart, puique ma
defcription l’exige , & qu’il donnera d’ailleurs une
idée plus complette de la demeure du pauvre.
Puifle le traitant logé dans des palais, & fouvent
embarraffé de fon or , tomber fut cet article & ne ;
le pas lire avec indifférence !
Lefouhait le plus ardent d’un journalier eft remp
li, quand, poffeffeur de cinq à fîx verges de terrain
, il a pu ramaffer allez de bois pour y bâtir.
Un charpentier, ou le charron du village, raccourcit
les morceaux d’après lés dime niions convenues :
quarrés ou ronds, tout eft employé : la difette ne
permet point de choifîr.
Les pièces principales de ces bâtimens font le
feuil & la fablière qui doivent régner fur leur pourtour
, en figurant des cadres»
La diftanee établie perpendiculairement entre
elles, eft de fîx. eu fe.pt pieds , élévation ordinaire
des poutres au-deffiîs du fol. .
Cette élévation déterminée , on coupe à longueur
convenable, des poteaux ou montans qu’on
fixe par une de leurs extrémités à la fablière, &
par l ’autre au feuil. Des tenons & des mortaifes
forment l’affemblage..
On peut fe faire une idée allez jufte de cette
charpente, en imaginant quatre râteliers placés fur
un plan & réunis à angles droits par leurs bouts.
Les grandes barres repréfenteront le feuil & la
fablière ; les petits repréfenteront les montans.
Il n’eft queftion que de fuppofer plus de force
dans les pièces, d’autres longueurs d’ailleursj &
d’un montant à l’autre , vingt-cinq à trente pouces
de vuide.-
Je n’obfërverai pas que le vuide eft plus grand
à l ’endroit de la porte, & que pour obtenir un
peu de lumière, on pratique quelquefois une ef-
pèce de croifée au moyen de traverfes alfemblées
horilbntale'meiit dans deux montans. Mais qui le
1 croiroit \
Cette embràfure, tout indifpenfable qu’elle pa-
roiffe, eft cependant un rafinement dans des demeures
qui, pour l’ordinaire, ne font éclairées que
par la porte.
Cette carcaffe ainfî difpofée & garnie de légères
poutres foutenues par les montans, on lui donne
pour bafe une aflife de grofles pierres'brutes.
Si on la laiffoit repofer fur la terre, l’humidité
ne tarderoit pas à pourrir le feuil & bientôt tout
le refte. On là foulève donc par partie, avec des
leviers, & les pierres fe gliflent en deffous.
La befogne du. couvréur en chaume ou en rofeau
fucçède à celle du- charpentier.
Je m’abftiendrai d’én parler , en renvoyant aux
détails de cet art, tom. i , pages 60 & fuivantes»
Paflons à celui du plaqueur,.
L ’argile , ainfî que je l’ai dit, fe trouve prefque
par-tout, mais à des profondeurs plus ou moins
grandes.
Il s’agit de l ’extraire, de la délayer avec l’eau,
& d’y mêler ou du foin, ou de la paille courte.
Il eft bon de n‘en travailler à la fois qu’une petite
'quantité.
On forme donc à terre une couche de cette matière
en l’étendapt fur un<dèmi-pied d’épaifleuj^
On l ’arrofe à différentes reprifes , & on la bat dé
manière à la réduire en une pâte affez épaiffe.
Cette opération achevée, on la couvre de paillé'
ou de foin , mais légèrement, & l ’on pétrit le tout
avec les p ied s tan t que le mélange., foit ex.aét.
On recueille en un monceau ce. premier pro^
duit, qu’on augmente par un travail femblable juf-
qu’à ce qu’on ait .préparé tout ce qu’on juge, devoir
etre employé.
Tandis que cette bauge repofe en tas , & que
d’elle-même elle fe perfeâionne encore, l ’ouvrier
s’occupe à latter.
Les lattes qu’il met en oeuvre, font ordinairement
de huit pieds & de bois tendre. Il les fixe
aux montans avec des d o u x , quelquefois feulement
avec dés harts, en les écartant entr’elles de
quatre pouçesi
Quand, le, propriétaire peut augmenter la d£r
penfe-, QU double le lattage. Alors, il s’en fait un
dans 1’int.étieur; car,, dans le cas.où.ii eftfîmple,
on l ’établit dehors,
Les lattes.,. ainft que les montansfervent .de
foptien à l’argile. L é péaî.aenr^aprés.l’avoir mife
à. fa p.o.rtée l en arrache au tas.des. fragmçns dé là
gcolfeur, de la. tête ; & profitant de la fpuplelle de
la matière ; il 'Wtitrodiiit entte_ deux lattes , &
l ’aecroehe bien à l’inférieure qui doit en être enveloppée.
Il opère d’abord fur la latte voifine du
feuil, en ÿ|Kgeant la hauge. à defcqndçe fur.cette,
pièce & à s’y, appliquer.
Dans cette befogne, il eft aidé d’un fécond qui,
placé du côté, oppofé, retient la matière & çn
îavorife l ’arrangement.
On charge enftfite, Mde 1^ meme manière, la
latte d’eiï aeffils, en ramenaait-cette fécondé mife
d’argile fur la première, & en l ’y amalgamant exactement.
De latte en latte, on parvient au-deffous
du toit.
Les ouvriers n’emploient à ce placage d’autre
inftrument que.: leurs mains. L'ouvrage, à la vérité
», préfente.d’abord une furface inégalei& toute
hériflée de paille : mais, à l’aide d’une truelle de
bois , affez unie & que de_ temps en temps ils trempent
daus un vafe rémplijl’eàu , .ils parviennent à
donner à ces parois encore humides & fouples, un
poli qui n’eft affurément point parfait, mais qui
fuffit à des yeux que le brillant des arts n’a jamais
frappés.
La. cheminée de ces demeures , ainfî que..Ie_
four qu’on y pratique,, toujours,. fqnttpus conftruit$
aveQ’ la, même matière. Dans le four i f n’entre»
point de bois, tout eft. argile, & ce. travail ne;
manque pas de folijdité», >
J’ai vu de ces miférabïes chaumières qui fubfîf-
toient depuis quatre-vingts ans, & qui n’ étoient
point à leur fin.
Ainfî , malgré leur apparente fragilité, elles durent
bien au-delà de la vie humaine , & fervent
à . plufî eurs générations.
Heureux parmi les pauvres Celui qui en pgjsède
une ! Ses voifîns lui portent envie. Combien rhonv-
me riche pourroit faire d’heureux !
( ArLj.de de M . v e S ep t.f o n t a in es gentilhomme
de fArdréfisj^,