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fournée de caiiïes neuves, lefquelles n'aïent pâ$
encore fervi; ii y en faut mettre la moitié qui aient
déjà été cuites. Celles-ci fe placent en haut & en
bas : au milieu des piles fe mettent celles qui (ont
nouvellement faites.
Autrefois toutes les cailles fe cuifoient à part
dans un fourneau , avant qu’on s’en fervît pour y
faire cuire la porcelaine ; fans doute parce qu’alors
on avait moins d’égard à la dépenfe , qu’à la per-
fe&ion de l’ouvrage. Il n'en eft pas de même à
préfent, & cela vient apparemment de ce que le
nombre des ouvriers en porcelaine s’elr multiplié à
l'infini.
De la conftruâion des fourneaux 6? de leur
écnaujfement.
Venons maintenant aux fourneaux; on les place
au fond d’un alfez long veflibule , qui fert comme
de foufflet, & qui en eft la décharge. Il a le même
h Page que l’arche des verreries. Les fourneaux font
préfentement plus grands qu’ils n’étoient autrefois ;
alors ils n’avoient que fix pieds de hauteur & de
largeur; maintenant ils font hauts de deux brafles,
& ont près de quatre bralfes de profondeur.
La voûte auffi bien que le corps du fourneau eft
alfez épailfe pour pouvoir marcher delfus , fans être
incommodé du feu, cette voûte n’eft en dedans ni
plate , ni formée en pointe ; elle va en s’allongeant
, & fe rétrécit à mefure qu’elle approche du
grand foupirail qui eft à l’extrémité, & par où
fortent les tourbillons de flamme & de fumée.
Outre cette gorge, le fourneau a lùr fa tête cinq
petites ouvertures, qui en font comme les yeux, &
on les couvre de quelques pots callés, de telle forte
pourtant qu’ils foulagent l ’air & le feu du fourneau
; c’èft par ces yeux qu’on juge fi la porcelaine
efl cuite ; on découvre l ’oeil qui eft lin peu devant
le grand foupirail , & avec une pincette de fer l’on
ouvre une des cailles.
Quand la porcelaine eft en état, on difcontinue
le feu , & l ’on achève de murer pour quelque temps
là porte du fourneau.
Ce fourneau a dans toute la largeur un foyer
profond & large d’un ou de dsux pieds ; on le pafle
fur une planche pour entrer dans la capacité du
fourneau, & y ranger la porcelaine.
Quand on a allumé le feu du foyer, on mure
aufii-tot la porte, n’y lailTant que l’ouverture nécef-
fiire pour y jetter des quartiers de gros bois longs
4 un pied, mais alfez étroits.
On chauffe d’abord le fourneau , pendant un
jour &une nuit, enfuite deux hommes qui fe relèvent
ne celfent d'y jetter du bois; on èn brûle
communément pour une fournée jufqu’à cent quatre
vingt charges.
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On juge que la porcelaine qu’on a fait dure dauf
un'petit fourûeau eft en état d’être retirée, lorf-
que regardant par l’ouverture d’en haut ou voit juf
qu’au fond toutes les porcelaines rouges par le feu
qui les embrafe, qu’on diftingue les unes des autres
les porcelaines placés en piles ; que la porcelaine
peinte n’a plus les inégalités que formoient les
couleurs, & que ces couleurs fe font incorporées
dans le corps de la porcelaine , de même que le
vernis donné fur le bel azur, s’y incorpore par la
chaleur des grands fourneaux.
Pour ce qui eft de la porcelaine qu’on recuit dans
de grands fourneaux , on juge que la cuite eft parfaite,
i° . lorfque la flamme qui fort n’eft plus fi
rouge, mais qu’elle eft un peu blanchâtre ; i ° . lorfque
regardant par une des ouvertures , on apperçoit
que les caiffes font toutes rouges ; 30. lorfqu’après
avoir ouvert une caiffe d’en haut & en avoir tiré
une porcelaine, on voit quand elle eft réfroidie que
le vernis & les couleurs font dans l ’état où on les
fouhaite ; 40. enfin lorfque regardant par le haut
du fourneau, on voit que le gravier au fond eft1
luifant. C’eft par tous ces indices qu’un ouvrier
juge que la porcelaine eft arrivée à la perfection de
la cuite.
Après ce que je viens de rapporter , ôn ne doit
point être furpris qtie la porcelaine foit chère en
Europe : on le fera encore moins quand on faura
qu’outre le gros gain des marchands européens &
celui que font fur eux leurs commiflionnaires chinois,
il eft rare qu’une fournée réuflifTe entièrement
: il arrive fouvent qu’elle eft toute perdue, &
qu’en ouvrant le fourneau on trouve les porcelaines
& les caiffes réduites à une maffe dure comme un
rocher.
Un trop grand feu, ou des caiffes mal conditionnées
peuvent tout ruiner : il n’eft pas aifé de
régler le feu qu’on leur doit donner: la nature du
temps change en un inftant l’aâion du feu, la qualité
du fujet fur lequel il agit, & celle du bois qui
l’entretient. Ainfî, pour un ouvrier qui s’enrichit ,
il y en a cent autres qui fe ruinent & qui ne laiffent
pas de tenter fortune, dans l’efpérance dont ils fe
flattent de pouvoir amaffer de quoi lever une boutique
de marchand.
D’ailleurs la porcelaine qu’on tranfporte en Europe
, fe fait prefque toujours ;fur des modèles nouveaux,
fouvent bifarres, & où il eft difficile de
réuffir; pour peu qu’elle ait de défaut, elle eft
refifée des Européens, & elle demeure entre les
mains des ouvriers, qui ne peuvent la vendre aux
Chinois, parce qu’elle n’eft pas de leur goût. Il
faut par conféquent que les pieceç qu’on prend
portent les frais de celles qu’on rebute.
Selon Iftiiftoife de King-te-tching, le ‘gain qu’on
faifoit autrefois étoit beaucoup plus confidérable
que celui qui fe fait maintenant ; c’eft ce qu’on a
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4e la peine à croire, car il s’en faut bien quil
fe fît alors un fi grand débit de porcelaine en Europe.
Mais peut-être cela vient de ce que les vivres
font maintenant bien plus chers ; de ce que ^ le
bois ne fe tirant plus des montagnes voifines qu’on
a épuifées, on eft obligé de le faire venir de fort
loin & à grands frais ; de ce que le gain eft partagé
entre trop de' perfonnes ; & qu’enfin les ouvriers
font moins habiles qu’ils ne l’étoient dans
ces tems réculés, & que par-là ils font moins surs
de réuffir. Cela peut venir encore de l’avarice des
mandarins qui,- occupant beaucoup d’ouvriers a ces
fortes d’ouvrages , dont ils font des préfens a leurs
prote&eurs de la cour , paient mal les ouvriers, ce,
qui caufe le renchériflemetit des marchandifes & la
pauvreté des marchands.
J’ai dit que la difficulté qu’il y a d’exécuter
certains modèles venus d’Europe, eft une des chofes
qui augmentent le prix de la porcelaine : car il
ne faut pas croire que les ouvriers puiilent travailler
fur tous les modèles qui leur viennent des
pays étrangers ; il y en a d’impraticables à la
Chine, de même qu’il s’y fait des ouvrages qui
furprennent les étrangers, & qu’ils, ne croient pas
pombles : telles font de gtofTes lanternes , des.
flûtes compofées de plaques concaves qui rendent
chacune un fon particulier, des urnes de plufieurs
pièces rapportées,. & 11e formant enfèmble qu’un
leul corps, &ç.
D'une efpece de porcelaine rare.
I l y a une autre efpèce de porcelaine dont l’exécution
eft très-difficile, & qui par-là devient fort
tare. Le corps de cette porcelaine eft extrêmement
délié, & la furface en eft très-unie au-dedans & au-
dehors; cependant on y voit des moulures gravées,
un tour de fleurs, par exemple, & d’autres orne-
mens femblables.
Voici de quelle manière on la travaille : au fortir
de defïus la roue on l’applique fur un moule où
font des gravures qui s’y impriment en - dedans ;
en-dehors on la rend la plus finie & la plus déliée
qù’il eft poffible, en la travaillant autour
avec le cifeau , après quoi on lui donne l ’huile,
Sc 011 la cui; dans le fourneau ordinaire.
Les marchands européens demandent quelquefois
aux ouvriers chinois des plaques de porcelaine
dont une pièce fafle le defïùs d’une table & d’une
chaife, ou des quadres de tableaux : ces ouvrages
font impoftiûles ; les plaques les plus larges & les
plus longues font d’un pied ou environ; fi 011 va
au-delà, quelqu’épaifleur qu’on leur donne, elles
fo déjettent , i’ép;aifTeur même ne rendrait pas plus
facile Texécution de ces fortes d'ouvrages ; c’eft
pourquoi au lieu de rendre ces plaques épaiffes, j
•on les fait de deux fuperficies qu’on unit, en laifi-
fa*t le dedans vpde : on y met feulement une »
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tteVerfe , & l ’on fait aux deux cotés deüx ouvertures
pour les enchâfler dans des ouvrages de me-
nuiferie, ou dans le doffier d’une chaife , ce qui a
fon agrément.
De la porcelaine ancienne & de la modettnc.
La porcelaine étant dans une grande eftime depuis
tant de fiècles, peut-être founaiteroit-on favoit
en quoi celle des premiers tems diffère de celle
de nos jours, & quel eft le jugement qu’en portent
les Chinois. Il ne faut pas douter que la Chine
n’ait fos antiquaires, qui fe préviennent en faveur
desy anciens ouvrages. Le chinois même eft naturellement
porté à refpe&er l’antiquité : on trouve
pourtant des défenfeurs du travail moderne ; niais
il n’en eft pas de la porcelaine comme des médailles
antiques, qui donnent la fçience des tems.
réculés*-
La vieille porcelaine peut être ornée de quelques
caradères chinois , mais qui ne marquent aucun
point d’hiftoire. Ainfî les curieux n’y peuvent trouver
qu’un goût & des couleurs qui la leur font pré*
férer à celle de nos jours.
C’eft une erreur de croire que la porcelaine j
pour avoir fa perfedion , doit avoir été long-tems
enfevelie en terre ; il eft feulement vrai qu’en
creufant dahs les ruines des vieux bâtimens, &
fur - tout en nettoyant de vieux puits abandonnés 3
on y trouve quelquefois de belles pièces &eporcelaine
, qui ont été' cachées dans les tems de révo-
lution.
Cette porcelaine eft belle, parce qu’alors on 119
s’avifoit guère d’enfouir que celle qui étoit pre-
cieufe, afin de la retrouver après la fin des trou-*»
blés. Si elle eft ëftimée , ce n’eft pas parce qu’elle
a acquis dans le foin de la terre de nouveaux degrés
de beauté; mais c’eft parce que fon ancienne
beauté s’eft confervée ; & cela feul a fon prix à
la Chine, où l’on donne de groflès fommes pour
les moindres uftenfîles de fîmple poterie dont fe fer-
voient les empereurs Yao & Chun , qui ont régné
plufieurs' fièclês avant la dynaftie des Tang , auquel
tems la porcelaine commença d’étre à l’ufage
des empereurs.
Tout ce que la porcelaine acquiert en vieillif-
fant dans la terre, c’eft quelque changement qui
fo fait dans fon coloris, ou j fi l ’on veut, dans
fon teint, qui montre' qu’elle eft vieille. La même
chofe arrive au marbre & à l’ivoire , mais plus
promptement, parce que le vernis empêche l'humidité
de s’infînuer aifément dans la pcrcelaine.
Il 11’y a rien de particulier dans le travail de
ceux qui tâchent d’imiter les anciennes porcelaines,
fînon qu’on leur met pour vernis une huile faite
de pierre jaune qu’on mêle avec de l’huile ordi-f
naire, enforte que cette dernière domine : cé