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marque aflez le cas qu’on en faifoït, lorfqu’ïl cloftïre
à une de fes. filles le nom de vafe d'antimoine 3 ou
de boîte à mettre du fard-3 cornu ftibii.
Comme dans l’Orient les yeux noirs , grands &
fendus pafloient, ainfi qu’en France aujourd’hui,
pour les plus beaux , les femmes qui avoient envie
de plaire, le frottoient le tour de l’oeil avec une
aiguille trempée dans du fard d’antimoine pour
étendre la paupière , ou plutôt pour la replier, afin
que l’oeil en parût grand. Auffiïfaïe , ch. 3. v. z z ,
dans le dénombrement qu’il fait des parures des
filles de Sion, n’oublie pas les aiguilles dont elles
le fervoient pour peindre leurs yeux & leurs paupières.
L a mode en étoit fi reçue , que nous liions dans
Un des livres des rois , liv. IV . ckap. 9. y. 3 0 ,.
que Jéfabel ayant appris l’arrivé ej de Jehu à Sa-
marie, le mit les yeux dans l ’antimoine, ou les
plongea dans le fard, comme s’exprime l’Ecriture
pour parler à cet ulùrpateur, & pour le montrer
à lui.
.Jérémie, ckap. 4. y. 50 , ne celîoit de crier
aux filles dé Judée : En vain vous vous revêtire^ \
de pourpre3 & vous mettre^ vos colliers 'd’or; en '
main vous vous, peindre£ les yeux avec /’antimoine ,
vos amans vous mépriferont. Les filles de Judée
fie crurent point le prophète, elles pensèrent toujours
qu’il le trompoit dans lès oracles ; en un mot,
rien ne fut capable de les dégoûter de leur fard:
c ’efl pour cela qu’Ezéchiel, ckap. 13. v. 46 , dévoilant
lès déréglemens de la nation juivè , fous
l ’idée d’une femme débauchée, dit qu’elle s’eft
baignée. 3 qu’elle s’eft parfumée , qu’elle a peint lès
yeux d’antimoine, qu’elle s’eft ajftfe fur. un très-
beau lit & devant une table bien couverte, &c.
Cet ufâge du fard, tiré de l’antimoine, ne finit
pas dans les filles de Sion ; il le glifla, s’étendit,
le perpétua par-tout. Nous trouvons que Tertullien
8t S. Cyprien déclamèrent à leur tour très-vivement
contre cette coutume ufitée de leur temps en
Afrique, de le peindre les yeux 8c les fourcils avec :
du fard . d’antimoine : inunge oculos tuos 3 „ non
ftibio diaboli, fed collyrio Çhrifti 3 s’écrioit faint
Cyprien.
Ce qu’il y a de. fîngulier* c'efi qu’aujourd’hui
les femmes fyriennes, babyloniennes & arabes le
noirciflent du même fard le#tour de l’oe il, & que
les hommes;;en font; autant, dans les déferts de
l ’Arabie, pour le conferver les yeux contre l ’ar-.
tdeur du foleil. Moyeq. Tavernier , voyage de Perfe ,
liv. I I , ckap. 7 3 & Gabriel JSionita , de moribus
orient, cap. x i .
M. d’Arvieux , dans fes voyages, imprimés a Pa-
tis en 1717 j liv. X II. pag. 2 7 , remarque , en
parlant des femmes arabes , qu’elles bordent leurs
yeux d’une couleur-noire conipofée avec de la tutoie
, & qu’elles tirent, une ligne de ce noir en-
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dehors du Coin de l*oeil, pour le fatré pSfoïffé plu W
fendu.
Depuis les voyages de M. d’Arvîeux, le lavant
M. Shaw rapporte dans ceux qu’il a faits en Barbarie
, à l ’occafion des fémmes .de ces contrées ,
qu’elles croiroient qu’il manqueroit quelque choie
d’effentiel à leur parure , fi elles n’avôient pas teint
le poil de leurs paupières. & leurs, yeux de ce qu’on
nomme al-co-hol, qui eft la poudre de mine de
.plomb. Cette opération le fait en trempant dans
cette poudre un petit poinçon de bois de la groP
leur d’une plume, & en le pafîant enliiite entre
les paupières : elles le perluadent que la couleur
fombre, que l’ori parvient de cette façon à donner
aux yeux , eft un grand agrément, au vifiage de toutes
lortes de perlonnes.
Entr’autres colifichets des femmes d’E gypte,
’ajoute le voyageur anglois, j’ai vu tirer des catacombes
de Sakara, un bout de rofeau ordinaire ,
.renfermant un poinçon de la même efpèce de ceux
des barbarefques, & une once de-la même poudre
idont on le fert encore actuellement (1740 ) dans
ce pays-là, pour le même ùlage.
Les femmes grecques & romaines empruntèrent
des afiàtiqùes la coutume de fe ■ peindre les yeux
avèc de l’antimoine. ; mais pour étendre encore
plus loin l’empire de la beauté , & reparer les
•couleurs flétries, elles imaginèrent deux nouveaux'
fards •'in connus auparavant dans le monde, & qui
ont paffé jufqu’à nous: je veux dire le blanc & le
rouge. ;
De-la vient que les poè’tes feignirent que la blancheur
d’Europe ne lui 'venait que parce qu’une des
filles de Junon avoit dérobé le petit pot de fard
blanc de cette déeffe , & en avoit fait préfent à la
fille d’Agenor.
Quand les rich elfes affluèrent dans Rome, elles
y portèrent iin luxe affreux'; la’galanterie introdui-
fît lés- recherches lès plus raffinées dans ce genre,
& la corruption générale y mit le fceau.
Ce que Juvénal nous dit des bapfès d’Athènes,
de. ces prêtres efféminé.s qu’il admet .aux. myftèr.es
de la toilette , iè doit entendre des dames romaines
, fur l’exemple defquelles, ceux dont le poète
veut parler, mettoient du blanc & du rouge, atta-
"choient leurs longs cheveux d’un cordon d’o r , 8s
fe noireiffoient le foiircil, en le tournant en demi-'.,
irond avec une aiguille de tête.
Ille' fupercilium maiidâ fuligine taBum ,
Obliqua producit acu, pingitque trementes
Attollens oculos. Juvén. Sat. z l ■
Nos dames, dit Pline le naturalifte, fe fardent pat
air jufqu’aux yeux , tanta eft decoris ajfeftaizo 3 ut
■ tingantur oculi quoque ; mais ce n étoit-là qu’un lé-?
gef crayon de leur mollefle.
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- Elles paflbïeht de leurs lits dans des bains Magnifiques
, & là elles fe fervoient de pierres-ponces
pour fe polir & s’adoucir la peau, & elles avoient
vingt fortes d’efclàves en titre pour cet ufage. A
cette propreté luxurieufè , fucceda l’ondion &
les parfums .d’Affyrie : enfin le vifage ne reçut:
pas moins de façons' & d’omemens que le refte du
corps.
Nous avons dans Ovide des recettes détaillées
de fards , qu’il confeilloit de fon temps aux danies
romaines ; je dis .aux dames romaines , car le fard
du blanc & du rouge étoit- référvé âùiî femmes de
qualité fous le règne d’Augufiè ; les1 eourt-ifanes &
les affranchies n’ofbieht -point- encore en' mettre. !
Prenez donc de-l’orge,- leur difoit-ii, qii’envoient
ic i les; laboureurs. de ’ Lybiè ; ôtëz-en la paille &
la robe ; prenez - une' pareille quantité. d’èrs ou
d’oroBe, détrempés Pun & l’autre dans des oeufs,
avec proportion ; .faitës, fécher & broyez le tout ;
jettez-y-de la'poudre de'corne dè cerf; àjoutez-y
quelques oignons de narciffe; piléz le tout’dans, lé
mortier : vous y admettrez éhfin la gomme & 'la
ferine de froment dé Tofcane ; que le tout ïoit lié
par une- quantité de miel convenable : celle qui
fe fervira de ce fard , ajoute-t-il, aura le teint plus
net que la glace de fon miroir.
Qu&cumque afficiet tait medicamine vultum,
Fulgebit fpeculo l&vior ipfa fuo.
Mais on inventa bientôt une recette plus fîmple
que celle d’Ovide, & qui eut la plus grande vogue
î c’étoit un fard compôfé de. la terre de Chio
ou de Samos, que l’on faifoit difioudre dans du
vinaigre. Horace l’appelle humidà créta,
Pline nous apprend que les dames s’ en fervoient
pour fe blanchir la peau, de même que de la terre
de Selinufe, qui eft., dit-il ; d’iin blanc de lait ’,
& qui fe diflout promptement dans l’eau.
Fabula , félon Martial, craignoit la. pluie, à
caufe de la craie qui étoit fur fon vifage ; c’étoit
une dès terres 'dont nous venons de parler. Et Pétrone*'
en peignant un efféminé',’ s’exprime ainfi:
Perflüebant per frontem fudantis acaci& riyi , &
inter rugas malarüm 3 tantum, erât cretA 3 ut putàres
detraBumparîetem nitnbo laborare :• « Des ruifïeaux
» dè gomme couloiènt fur fon front avec la fûeur,
yi & l!â'craie étoit ‘ fi épàifife dans:les' fidés '■ de fès
» ■ jOitesp qu’bn 'àÜTOït dit que c’-étoit un ’mûr que
» la pluie avoit déblanchi ». ,
Poppée, cette célèbre courtifane, douée de tous
les avantages dé fon fexe, ’ hors de la ehàfleté ,
ufbit pour fon vifage d’une efpè'ce d.e fard ond-éeiix,
qui formoit une croûte durable1, & qûi> ne' tomboit
qu’après avoir été’ lavée aVec’ une girande quantité'
de la it , lequel en détachok les parties!, & décou-
Vroit une extrême blancheur : Poppée * dis-je , mit
? A K Sf
Ce nouveau fard a la mode, lui donna fon nom ,
Poppsana pingicià.
Cette pâte de ..l’invention de Poppée, qui cou«
vroit tout le vifage , formoit un m afq uea ve c lequel
les femmes alloient dans l ’intérieur de leu*
maifon : c’ étoit-là , pour ainfi dire, le vifage do-
meftique, & le feul qui étoit connu du mari. Ses
lèvres,. fi nous écoutons Juvénal, s’y prenoiejat à
la, glu : ;
Mine miferi vifeantur labra mariti.
Ce teint tout, neuf, cette fleur de peau , n’étoit
1 faite que pour fes amans; & fur ce pied-là, ajoute
1 l’abbé, Nadal, la nature ne donnoit rien ni aux uns
: ni aux autres.
Les dames ’romaines fe fervoient pour le rouge ,
au rapport de Pline , d’une efpèce de fucus qui
; étoit une racine de Syrie* avec laquelle on tei-
gnoit les laines. Mais Théophrafte eft: ici plus
| exad que le naturalifte -romain ; les grées j félon
lu i, appelaient fucus tout.ee qui pouvoit peindre
la chair, tandis que l'a fubftance particulière dont
: les femmes fe fervoient pour peindre leurs joues
, de rouge , étoit diftinguée par le nom de rifion ,
• racine qu’on apportoit de Syrie en Grèce à ce fu-
jèt. Les latins , à l’imitation du terme grec, ap-
p’éllèrent cette plante radicula, & Pline l ’a con-
- fondue avec la racine dont on teignoit les laines^
Il eft fi. vrai ; que- le mot fucus étoit un terme
I général pour, défigner le fard ^ que les grecs &les
■ romains avoient un fucus• métallique qu’ils em-
•ployoient pour le blanc, & qui n’étoit autre chofe
que la cérufe. ou le blanc de plomb de nos reven-
- deufes à la» toilette.
Leur fucus rouge fè tiroît de la racine rizion ,
; & étoit uniquement deftiné pour rougir les joues r
ils fè‘ fervirent auffi dans la fiiite pour leur blanc ,
d’un fucus compofé d’une efpèce de craie argentine
; & pour le rouge , du purpvrijfum, préparation
qu’ils faifbiènt de l ’écume de la pourpre, lorfqu’elle
; étoit encore toute chaude.
C ’en eft allez fur les dames grecques & romaines.
Pourfùivons à préfent l’hiftoire du fard jufqu’à
nos .jours, & prouvons.que la plupart des peuples
dè l’Afîe & dè- ,l’Afrique font encore dans l ’ufàge
de fe colorier diverfes parties du corps de noir,
: de blanc, de rouge,.de bleu, de jaune, de verd ;
■ en un mot, de tôutés fortes de .couleurs , fuivant
les idées qu’ils fe font formées de la beauté. L ’a-
inour propre' & la Vanité ont également leur recherche
dans tous les pays du monde ; l’exemple ,
1 les temps & les lieux n’y mettent que le plus ou
le moins d’entente, de. goût & de -perfection. *
' En commençant par le Nord, nous apprenons
; qü’avant que les mofeovites eufîènt été policés par
lexzar Pierre I , lés femmes rufîes fàvoient déjà