
Quant à l'aigue-marine ou verd d'eau , comme
les pierres fines qui portent ce nom (ont allez connues
, on pourra le rendre certain de la perfedion
de l’émail qui les imite, s’il le trouve d’une couleur
aulïi pure.
Il ell ordinairement le plus tendre de tous les
verdsi
I l y a dans les verds plufîeurs teintes : le verd
jaune eft le plus difficile à rencontrer.
On ne peut Ce fèrvir du verd gai dur qu’en le
mêlant avec moitié d’aigue-marine, ce qui le fait
facilement en broyant enfèmble ces deux émaux.
La facilité que l ’aigue-marine ou le verd d’eau
a pour fè fondre , aide au premier à couler plus ai-
fement, & du mélange des deux naît une plus belle
couleur d’éméraude.
Qi oique les émaux opaques n’entrent point dans
l ’ordre de la peinture fur le verre, qui n’admet
que les émaux clairs & tranlparens, j’ai cru néanmoins
ne devoir pas palier Ibus fîlence -ce que
M. Taunay prefcrit par rapport à l’émail blanc ,
qui peut y être employé utilement dans les draperies
, dans les linges & dans la grifaille couverte
d’un émail blanc , tel qu’on en voit dans plufîeurs
églifes , 8t fur-tout dans la chapelle du château
d’Anet, aux vitres que Philibert de Lorme, le
plus grand architede de fbn temps, y fit faire ;
vitres qui, comme il le dit lui-même, font des
premières peintes de cette manière qu’on ait vues
en France.1
Il y a de l ’émail blanc de plufîeurs qualités, &
fùr-tout de deux, qu’on diftingue entr’eÛes par les ,
noms de dur 8t de tendre.
Le tendre , en le caftant, n’a point de brillant, ,
la mie en eft terne : il eft ordinairement grisâtre
& fort aile à couler à la fufîon.
L e dur au contraire efl d’un beau blanc, d’un
ceil auffi v if dans la mie que fur le deffus du pain.
Il eft lent à la fufîon fit fbjeià beaucoup d’in-
convéniens, quand on ne le (ait pas préparer comme
il l ’exige.
Il y a, continue notre artifté, beaucoup de choix
dans les émaux.
On doit encore remarquer en caftant le pain ,
s’il n’eft pas fujet â bouillonner, ce qu’on recon-
noît aifemerit lorfque l’émail fe trouve criblé de
trous ou de vents qui fe forment lorfqu’on le
coule.
I l eft rare que l’émail , dans lequel ce défaut
Ce rencontre , foit d un bon fèrvice. Il conférve
cette imperfedion à l'emploi qu’on en fait.
Il s’élève alors fur l’ouvrage, à la fufîon, de
petits bouillons que les^émailleurs appellent des
oeillets , dont il eft très-difficile de guérir fbn morceau
, quelque précaution qu’on prenne ; ce qui
fbuvent chagrine l’artifte, quand il n’a pas la con-
noifïànce du choix.
Le peintre fur verre ne peut être trop attentif
fur ce choix , attendu que ces émaux imparfaits
s’attachent difficilement fur le verre, fit que ces
bouillons, à la recuiflon, fe détachant de deflus
leur fond, Ce lèvent par écailles., de façon que le
trait s’enlève même avec la couleur.
Le défaut de cuiflon des émaux qu’il peut fe procurer
tout faits à prix d’argent, n’eft pas la feule caufè
de ce bouillonnement : les meilleurs émaux peuvent
bouillonner lorfqu’ils font mal employés.
Le trop de gomme avec laquelle on les délaie,
les fait fouvent écailler fit bouillonner au feu , fis
les fait brûler ou noircir à la recuiflon.
Les inégalités d’épaiffeur des émaux, en les
couchant, peuvent auffi caufer ces inconvéniens.
Les peintres fur verre de l’avant-dernier fîècle,
qui ont porté leur art à la plus haute perfedion,
employoient un verre beaucoup moins fèc fie moins
fixe que notre verre de France aduel.
Il entrait dans fa compofîtion beaucoup plus d’al-
kali fixe par proportion à la quantité des fables.
Il atteignoît plus difficilement dans fâ première
forme à cette vitrification parfaite que donne l’atteinte
d’un feu v if 8c prolongé , qui décharge le
verre de cette fùrabondance de fèls , 8c qui fèul en
affiire l ’indeftrudibilité.
Ce Verre, d’abord blanc, puis chargé de nouveaux
fèls effentiels aux émaux dont on le coloroit
fur une fuperficie, prenoit d’autant moins de recuite
au fourneau de recuiflbn que les émaux colo-
rans étoient plus fondans.
Il n’en devenoît que plus fufceptîble de fbîubilité,
parce que les fèls fiirabondans n’étôient point fùf-
fifâmment épurés fie fùbtilifes , 8c que les parties
qui en reftoient n’étoient pas fùffifàmment reffer-
rées.
Enfin ce verre, expofe aux injures de l ’air, eft
devenu fùjet à des altérations que l’adion des fèls
8c des acides que,ce même air y charioit continuellement,
pouvoient occasionner.
Il eft très-ordinaire de remarquer ces altérations
dans les vitres peintes du fèizième. fîècle. Comme
on n’a Jamais été dans l ’ufàge de les nettoyer fou-
vent , elles fè ternifiènt, Ce raient, fê dépoliffent
fie fè percent1 comme de petits'trous de ver.
Elles fè couvrent d’une craffe blanche très-inhérente
fie âpre au goût, qui les rend opaques de
tranfparentes qu’elles étoient,fie en décompofètellement
la fubftance que ce verre, ainfî dépouillé,
de fes $Is qui ont paffé fur fa furface , n’eft plus,.
'au fond, qu’un amas de.grains de fable cbhérens,
qui fè réduit en pouffière, après s’être brifé fous
la pointe du diamant, ou fous la pince 4u grê-
Jbirr ' •
Telles font, entre beaucoup de vitres de ce fier
de , même non colorées, les admirables vitres pein-
tes des chapelles fituées au midi dans l églifè de
l ’abbaye royale de fàint Vidor à Paris, corrodées
en partie par les fèls furabondans qui en réfiiltent,
fit qui , abreuvés d’une part par l ’humidité; de la
pluie 8c defféchés de l ’autre par l’ardeur extrême
du foleil, ont rendu ce verre tellement opaque en
certains endroits, qu’ilreftemble plus à dèsardoifes
ou à des tuiles qu’à du verre : effet qui ne fè remarque,
pas dans des vitres beaucoup plus anciennes
, mais qui étoient d’un verre plus fixe fie moins
chargé de fèls.
Dans lé fîècle dernier, les peintres fur verre don-
noient avec fùcçès la , préférence au verre des ma-
nufadures de Lorraine ou de Nevers. Mais ces
verres, quoiqu’ils fè prêtaflènt affez bien à ce concert
de fufîbilité des émaux fî defîrable , étoient
fûjets à fè gauchir fie même à fe caffer. dans le four
de recuiflon.
Fixé par une expérience journalière , déterminons
enfin notre artifte fur le choix du verre qui fe
fabrique aduellement dans les verreries, foit nationales,
foit étrangères.
Sera-ce afïèz pour cela de lui dire qu’il doit préférer
un verre d’une dureté médiocre, tel qu’eftle
verre à vitres d’Angleterre, qu’on, y connoît fous
le nom de verre de couronne ? Les loix du commerce
n’admettent point parmi nous les exportations du
verre d’Angleterre.
Lui confèillerons-nous l ’ufâge du verre à vitres
de France, connu dans nos verreries fous le nom
de verre de couleur ou verre a la rofe ?
Nous pourrions comme les hollandois qui le préfèrent
par curiofité , en faire venir chez nous, en
y mettant le prix comme eux ; mais malgré les
foins plus particuliers que nos verriers apportent à
fâ confedion, malgré la meilleure qualité des matières
qu’ils y emploient, il y aura toujours du r if
que pour un peintre fur verre à confier toutes fes
efpérances à un verre auffi Hiince que le verre de
France. .
Le fùccès du verre double de la même efpèce,
qu’on a quelquefois demandé à nos maîtres de verrerie
à cet effet, n’a jamais été fùffifàmment afluré ,
par le peu d’ufàge que nos gentilshommes verriers
ont acquis de faire de ce verre.
Peut-être le verre blanc de Bohême y fèroit propre
? Non , il eft trop doux 8t trop tendre à l ’action
du feu ; il eft de plus fî chargé de fèls , qu’il
les pouffe continuellement au dehors & gâte les
eftampes qu’il couvre, fur-tout fî elles font expo-
fées dans des endroits humides.
Il y perd fbn poli 8c fa tranfparence , par la taie
qu’il yN contrade.
Le verre ordinaire de nos verreries de France
peut ici entrer en comparaifbn avec le verre commun
de la verrerie de Saint-Quirin en Vofges, plus
connu fous le nom de verre d’Alface. Ils ne font
guère propres, ni l’un ni l ’autre , à fervir de fond
à la peinture fur verre.
Quel verre choifîra donc notre artifte pour ne
pas perdre le fruit de fbn travail ?
Je penfe, dit M. le V ie il, que le verre blanc
d’Alfàce , mieux jdofé dans fa compofîtion, beaucoup
plus cuit que les autres verres, eft le fèul qui
puiffe fervir à la peinture fur verre.
Je ne demanderais fans doute rien de trop à un
peintre fur verre , continue M. le V ie il, qui veut
atteindre à un certain degré de perfedion, en lui
fùppofànt, outre les connoiffances précédentes , relatives
à la chymie , toutes celles qui conftituent
le bon peintre en général ; 8c d’abord je voudrois
qu’il Ce familiarisât avec l’hiftoire fàcrée fit profane
, la fable , le blafon 8c l’architedure ■, dont la
géométrie, l’optique ou la perfpedive font des parties
effentielles.
Je voudrois encore qu’il eut fouvent entre les
mains les excellens ouvrages fur la peinture des
de Piles, des Dufrefnoy , des de Marfÿ, des Wa-
telet, des Dandré Bardon, des Lacombe fit des
D. Pernetty.
On a beau dire que les peintres fur verre n’étant
que des copiftes, n’ont pas un befbin réel d’être
inftruits des principales qualités de la peinture ; je
réponds que la perfedion eft de tous les états ,
qu’elle eft le but auquel les artiftes doivent tendre
, St que tout ce qui peut les y conduire n’eft
jamais à négliger.
Le deffin eft la bafè fur laquelle doit être appuyé
le travail du peintre fur verre. On ne peut
trop lui recommander, comme au graveur, qu’ il
doit fur-tout s’appliquer long-temps a deffiner des
têtes , des mains 8t des pieds d’après la nature , ou
d’après les deffins des artiftes qui ont le mieux def
fîné ces parties , tels qu’Auguftin Carrache fit Vil-
lamene, qui ont fourni les meilleurs exemples de
ces études , que la gravuremous a confèrvés.
Le peintre fur verre qui les aura fous les yeux,
8t qui s’appliquera à les copier fidèlement, fe metr
tra dans l’héureufè facilité de corriger les cartons
peu correds qu’il eft d’ufàge de lui fournir , 8c
de faire remarquer plus xl’exaditude , de fini & de
précifîon dans certains détails que certains peintres
fè font cru mal-à-propos en droit quelquefois de
négliger*
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