s’adressa à un transfuge turc, ancien aide-vétérinaire
dans la cavalerie égyptienne, qui s’était .établi
dans le quartier musulman de Gondar, où il tâchait
de subsister en pratiquant la médecine. Cet homme
s’engagea à guérir le Dedjazmatch et le suivit à
Fandja, où il campait avec le Dedjadj Conefo; là, il
le médicamenta, lui fit des saignées répétées et
l’acheva en moins de quinze jours. Accusé d’homicide,
tout d’une voix, il eût probablement payé de
sa vie son insuccès, si la célèbre Waïzoro Walette
Takle, mere des deux Dedjazmatchs, une des femmes
les plus distinguées de l’Ëthiopie par ses charmes,
son esprit et ses vertus, ne l’eût couvert de sa
protection.
— Mon pauvre Gabrou, dit-elle, n’a que trop
versé de sang durant sa courte vie; pourquoi, en
verser encore sur son tombeau? Moi, sa mère, je
pardonne à celui qui a peut-être hâté sa mort;
personne n’a le droit d’être plus inflexible que moi.
La mort du Dedjadj Gabrou ne laissa à Gondar
aucun regret.
Le Lik Atskou ayant divulgué mes pronostics sur
sa maladie,, on ne tarda pas à assurer que j’avais
prédit le lieu, le jour et jusqu’à l’heure de sa mort.
Quelques jours après, le Dedjadj Imam, frère
utérin du Ras Ali, vint loger dans le quartier de-
l’Itchagué, avec six ou sept cents soldats indisciplinés.
Il était âgé de seize ans; j’allai le visiter, et il me fit
un accueil amical, conforme à son âge; mais il
s’éprit de mon , sabre à première vue, et, quand je
fus rentré chez moi, il m’envoya dire qu’il aurait
grand plaisir à ce que je lui en fisse don. Je refusai
; il insista, m’envoya message sur message et
finit par recourir aux menaces.
Je m’apprêtai au pire. Outrés d’un pareil procédé,
le Lik Atskou et quelques notables allèrent avertir
l’Itchagué, avec qui j’entretenais des relations amicales.
Ce dignitaire fit au jeune prince de sévères
remontrances et le menaça, s’il ne se désistait, d’aller
en personne porter sa plainte au Ras Ali et à la
Waïzoro Manann.
La cupidité de mon jeune tyran fut ainsi réfrénée.
Le lendemain, à la grande joie des habitants,
sur lesquels ses soldats vivaient à discrétion, il
partit, me laissant plein de reconnaissance envers
les notables de Gondar, qui s’étaient tous émus en
ma faveur.
Le Lik Atskou m’avait plusieurs fois conseillé, pour
assurer ma position dans le pays, de me présenter
chez le Ras Ali. Chaque fois que mon excellent hôte
abordait ce sujet, il en profitait pour médire à fond
de l’état de son pays.
— Ne va • pas t’imaginer, disait-il, qu’il en soit
ici comme chez vous, où les us et les lois sont en
force; nous aussi, nous avons des us, des lois, et en
quantité, mais nous soufflons dessus tantôt le chaud
et tantôt le froid. Les lois, les us et coutumes, vois-
tu, sont des êtres abstraits, intangibles, parfums de
la sagesse de nos pères; et de même que les parfums
des ffeurs se dissipent, lorsque la bise prévaut,
le véritable esprit de la législation d’un peuple
se dissipe, lorsque la violence prend le dessus. Alors,
l’autorité se dénature, son utilité, devient sa justice,
et les illégalités lui servent de marche-pied.
Tu as vu Gabrou : son frère Conefo ne vaut pas mieux;
tu viens de voir ce louveteau d’imam, car, entre nous,
sa mère Manann est une louve doublée d’hyène. On dit