étaient entrés chez le Prince lorsque j’en sortais;
que le Blata Teumro lui avait représenté que si mon
départ lui était pénible, c’était à lui de l’empêcher;
que le bien-être étant le but de tous les hommes, il
n’avait pour me faire rester qu’à me donner une
position qui satisfît mon ambition. Le Prince aurait
répondu : « Certes, nous nous étions habitués à le
considérer comme un des nôtres; mais il dit qu’il
reviendra, et il donne pour motif de son départ un
engagement pris avec son frère, fils de sa mère, qu’il
va rencontrer à Moussawa. Les gens de son pays
passent pour véridiques ; pourquoi nous abuserait-il ?
J’ai prévenu Birro, chez qui il devra s’arrêter ; Birro,
qui est plus de son âge, saura peut-être l’empêcher
d’aller plus loin. Si son destin est de se restituer à
la terre dans le pays de ses pères, nous chercherions
vainement à l’arrêter ici; si c’est dans notre
pays, les sentiers qui en éloignent se fermeront d’eux^
mêmes devant lui, et notre pain le ramènera. Allez !
et que Dieu vous récompense pour le zèle que vous
me montrez. s>
En sortant, le Blata Teumro et ' le Blata Filfilo
vinrent me faire leurs adieux; et mes apprêts terminés,
j’allai prendre congé de Monseigneur. Il était
seul, à demi-couché sur son alga ; il ne répondait
que par des signes de tête au peu que j’avais à lui
dire, lorsque Ymer Sahalou, sans être annoncé, releva
le rideau de la tente. Il était ceint, armé, un
petit fouet à la main et portait la toge rejetée sur
les épaules comme un homme prêt à l’action :
— Allons, mes seigneurs, dit-il, puisque cela
doit être, que cela soit avant l’ardeur du jour. Tu
as une longue traite à faire, Mikaël.
— Mon fils, me dit le Dedjazmatch, que Dieu te
guide dans le bien; qu’il t’affranchisse des mauvais;
qu’il épargne ceux que tu aimes, et qu’il te rapproche
d’eux. Ya; et ne nous oublie pas.
A chacun de ces souhaits, Ymer répondait : Amen!
Et voyant que j’hésitais à sortir, il me dit vivement :
— Prends-le, embrasse-le, tu ne sais donc pas
qu’il faut oser pour lui ?
Le Prince sourit et me donna l’accolade,
Un grand nombre de notables m’attendaient à
cheval sur la place; ils m’entourèrent et nous nous
frayâmes lentement un passage à travers les gens
de l’armée accourus de toutes parts. A la sortie du
camp, des bandes de fantassins et de cavaliers venus
pour me faire aussi la conduite se joignirent à nous,
tant on mettait d’émulation à plaire au Dedjazmatch
en me rendant ces honneurs extraordinaires, car j’étais
loin de connaître personnellement tout le monde.
Après un quart-d’heure de marche environ, je fis
halte, et selon l’usage, je dis aux principaux chefs :
— Mes seigneurs, je vous en prie, par la mort
de Guoscho, retournez-vous en !
— Par la mort de Guoscho, non, non ; allons ! répondirent
ils.
Et on allait, sans parler, lorsqu’une poétesse qui
montée en croupe derrière un soldat, semblait chercher
des inspirations en chantonnant des lieux communs
sur un ton plaintif, m’interpella tout à coup :
— N’as-tu pas vergogne, dit-elle, de déserter de
la sorte notre maître, resté seul dans sa tente? Et ne
sommes-nous pas dignes de pitié de nous affliger
ainsi, un lendemain de victoire, pour le départ d’un
seul homme?
Je répondis qu’eux'étaient moins à plaindre que
moi, puisqu’ils étaient si nombreux pour se partager