prétexte pour sévir cruellement. On annonça aux
prisonniers rassemblés sur la place la mort du parent
du Dedjazmatch, qui leur fît demander ce qu’ils
avaient à dire pour se justifier. Les femmes répondirent
par des sanglots; un des prisonniers s’avança
devant la tente et dit :
— O monseigneur, à toi la force! Tu es l’étoile
de ton matin, et tu annonces les splendeurs de ta
propre journée. Que Dieu fasse luire à tes yeux la
vérité de mes paroles. Au commencement de son
règne, Conefo r aussi nous laissa maltraiter; nous
prîmes les armes et nous fûmes vaincus. Mais,
reconnaissant la justice de notre résistance, il nous
gouverna avec mesure, et nousrlui avons été de
fidèles sujets pendant tout son règne. Nous avons
refusé obéissance à ses fils, parce qu’ils ont été durs
envers nous, et qu’ils ont méconnu l’héritage de leur
père; aussi, n’étions-nous pas représentés à la bataille
de Konzoula. Par obéissance à ton ban, nous
avons laissé tes soldats se ravitailler sur nos terres;
mais ils ont attenté à nos personnes; et où convient-
il que le laboureur affronte la mort, si ce n’est sur
son sillon? Nous espérions qu’il en serait avec toi
comme ' avec Conefo, et que tu apprécierais notre
résistance. Nous voici prêts à être asservis par ton
pardon. Que ta javeline soit toujours victorieuse, et
que Dieu t’inspire notre arrêt!
— Créature du jeudi! (c’est du jeudi que date la
création des animaux, dans la Genèse) s’écria Birro.
Puisqu’ils ont eu recours aux armes, ils en subiront
la loi. Ils ont tué mon parent, tout meurtrier
doit son sang; je leur laisse la vie, mais qu’on leur
coupe à chacun le pied et la main !
La tente fut refermée. Celui qui avait pris la
parole s’offrit le premier au rasoir du bourreau, avec
ce stoïcisme si commun parmi les Éthiopiens.
Seize malheureux subirent la mutilation, pendant
qu’au milieu de ses familiers consternés, Birro
cherchait, par des discours animés, à donner le
change à son émotion. Je pus enfin l’interrompre-
et l’engager à gracier le reste des condamnes. Malheureusement
pour eux, les assistants, malgré Tiksa-
Méred qui leur faisait signe de s’abstenir, appuyèrent
mes instances, et, à cette apparence de pression,
Birro éclata :
On ne les a donc pas tous ébranchés? s’écriat
il. Qu’on mande mes bûcherons pour abattre ceux
qui restent à coup de hache! Je ne pourrai donc
pas venger le sang de mon parent et celui de mes
soldats?
Deux infortunés furent tués à coup de hache. On
vint lui dire que tout était fini, et il sembla respirer
plus à l’aise. Des soldats compàtissants avaient fait
évader une dizaine des condamnés. Birro l’apprit
quelques jours après et dit :
« Tant mieux ! mais c’était mon devoir de faire un
grand exemple. » ,
A partir de ces exécutions, ses soldats, même isolés,
purent circuler avec sécurité dans toute la province.^
Cependant, un prétendant nommé Woldé Teklé
augmentait le. nombre de ses troupes, et Birro s’en
préoccupait. Sur le rapport de nos espions, nous partîmes
de nuit avec près de 2,000 hommes pour le
surprendre. Après environ quatre heures de marche,
nous arrivâmes près de l’endroit désigné une soixantaine
de cavaliers seulement et une quinzaine de fantassins,
les meilleurs coureurs. Nous eûmes à peine
mis pied à terre pour attendre nos gens, que,, dans une