à petits. coups, en partageant avec leurs amis. Les
Européens passaient pour avoir toujours du tabac
sur eux, soit pour leur propre usage, soit pour distribuer
en petits cadeaux. Une des Waïzoros demanda
par signe à l'envoyé français de lui en mettre sur
la main; celui-ci fit signe qu’il n’en avait pas, et la
belle demandeuse tenait encore sa main tendue, lorsque
le Prince lui dit :
— Que veux-tu de cet homme ?
— Une prise, répondit-elle; mais il dit qu’il n’a
pas de tabac.'
— Il ment, dit Oubié ; sa race est menteuse. Ils
prétendent que nous déguisons la vérité ; ce sont eux
qui vivent de tromperies.
Je traduisis à demi-voix à mon compatriote les
termes de l’injure qui, à son sujet, était faite à notre
nation, et comme il ne voulut pas la ressentir, je fis
observer avec ménagement au Dedjazmatch que mon
compatriote ne prisait pas, qu’il n’avait point de tabac
sur lui, et qu’en présence d’un Prince tel que lui
il n’en aurait que faire pour s’acquérir des protecteurs.
Mais;i répétition éternelle de la fable du Loup
et de l’Agneau, le Prince, en colère, reprit:
— Si ton voisin n’en a pas, tu en as toi-même,
vous en avez tous, puisque le tabac 4 priser vient
de votre pays ; et quand même cela ne serait pas,
vous êtes des menteurs et des intrigants que nous
sommes trop bons d’admettre chez nous ; je devrais
vous renvoyer tous à votre roi et lui faire dire que
je ne veux plus de ses sujets.
A ces paroles insensées, je répliquai comme je le
devais.
— Tu comptes aller à Gondar, n’est-ce pas ? dit
Oubié.
: — Monseigneur, remarqua l’échanson, on assure
qu’à Gondar, il ne sort jamais sans une grosse suite et
des fusiliers devant lui; il s’est fait petit pour venir
chez nous.
— Je le sais, répondit le Prince ; et interpellant mon
suivant, debout derrière moi :
— A qui appartiens-tu, soldat?
— A lui, répondit en me désignant le pauvre garçon,
dont la voix tremblait.
— Joli maître, par Notre-Dame ! reprit Oubié.
— Et. s’adressant aux femmes :
— Ces Cophtes, qui se croient des hommes ! Il leur
faut comme à nos seigneurs, des gaillards comme ça, à
cheveux tressés, au lieu de se contenter de quelques
manants chauves pour faire porter leurs marchandises
d’aspect trompeur, avec lesquelles ils viennent abuser
de notre ignorance et capter notre bon vouloir.
J’étais désormais en pleine querelle. J’ignorais
qu’Oubié s’était grisé dès le matin ; mais mon silence
n’eût rien amendé. Je répliquai donc selon mes inspirations.
La Waïzoro, auteur involontaire de cet éclat,
faisait à mon frère des signes furtifs, l’engageant par un
geste expressif à me faire taire. Le Prince, furieux se
penchantpresqu’à tomber de son alga, me dit:
— J’ai envie de te raccourcir cette langue dont tu
crois te bien servir !
Et comme je répondais, il ajouta :
— Par la mort de Haylo, mon père! je vais te faire
couper un pied et une main !
Un des deux pages fit observer, avec ce manque de
pitié fréquent à son âge, qu’il serait curieux et neuf de
voir comment un Cophte supporterait ce supplice; et le
silence. suivit cette remarque venimeuse. Je songeai
avec désespoir que mes armes étaient loin de moi:
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