pour conférer les ordres. D’après l’antique' usagé, à
la mort de l’Aboune, qui une fois sur-le sol éthiopien
ne le quitte plus, les Empereurs envoyaient une
ambassade auprès du Patriarche d’Alexandrie pour
en ramener le successeur. A l’instigation du parti
musulman, le Ras Ali, qui prétendait remplacer
l’Atsé, différait d’année en année de réunir les,sommes
nécessaires pour défrayer l’ambaèsade et la venue de
ce grand dignitaire ecclésiastique. Dans beaucoup de
paroisses les desservants défunts n’étaient plus remplacés;
le peuple s’en plaignait avec amertume, et
l’on parlait ouvertement d’une coalition probable des
Dedjazmatchs chrétiens pour chasser du Bégamdir le
Ras, chrétien tiède, musulman d’origine, et prêt,
disait-on, à adopter l’islamisme.
Le Ras trouvait bien parmi ses parents et ses favoris
des aspirants à l’héritage de Conefo, mais aucun
n’était assez fort pour le recueillir sans aide, et il
lui répugnait, disait-il,- de réunir son armée pour
aller en personne . dépouiller les fils d’un vassal à
qui il devait de la reconnaissance, pour les grands
services qu’il en avait reçus. D’ailleurs, s’il marchait
contre les fils de Conefo, il pouvait craindre de les
voir passer avec leurs troupes au service du Dedjadj
Oubié, disposé à les accueillir, ou se joindre au
Dedjadj Gfuoscho, à qui leur père les avait recommandés
en mourant. Enfin, le Ras, impatient dé
s’affranchir de l’ascendant de sa mère, n’osait cependant
s’abandonner au parti musulman vers lequel
le portaient ses sympathies. Ce parti, composé de
ses parents et de notables de l’Idjou, du Wara-
Himano et du Wollo, était compacte et dévoué à sa
maison, mais il regardait le Bégamdir comme pays
conquis, et tous les chrétiens comme d’équivoques
serviteurs, ce qui le rendait odieux aux chrétiens
de cette province, de la part desquels le Ras craignait
quelque résolution désespérée. Ces derniers
l’engageaient à faire venir un Aboune, à monter à
cheval et à marcher à leur tête contre le Dedjadj
Oubié, le Dedjadj G-uoscho ou tout autre qui refuserait
de reconnaître sa suzeraineté; mais il n’osait
s’en remettre à eux, de peur de s’aliéner ses parents
musulmans. Sa mère lui causait aussi de grands
embarras; selon qu’il inclinait vers le parti des chrétiens
ou celui des musulmans, elle se rapprochait
du parti contraire, rappelant à ceux-ci que son
père et sa mère étaient morts musulmans, et à
ceux-là les services qu’elle n’avait cessé de leur
rendre.
A la mort du Dedjadj Conefo, selon l’usage, les
notables et la famille de ce Polémarque ayant fait
asseoir sur son alga l’aîné de ses deux fils, le Lidj
lima, âgé de dix-huit à dix-neuf ans, avaient envoyé
immédiatement au Ras Ali le bouclier, le sabre et
le cheval de bataille du défunt, demandant pour
le Lidj lima l’investiture du gouvernement paternel,
ou tout au moins l’exercice du droit de déport (1)
pour lui, son frère, le Lidj Moukouennen et leurs
soeurs.
Le Ras Ali avait gardé le bouclier de Conefo, sans
(1) Ce droit consiste pour les enfants d’un fivatier à exercer durailt un
an l’autorité de leur père défunt. A tous les degrés de la hiérarchie, il
est d’usage d’accorder ce droit aux héritiers d’un serviteur, tant pour
reconnaître ses bons services, que pour mettre à l’épreuve les capacités
de ses héritiers à lui succéder dans sa charge, et leur permettre en tous
cas de faire des provisions pour l’avenir; car il est rare que les seigneurs
même laissent un héritage en rapport avec leur position, à cause de leur
habitude de tout partager avec leurs soldats. Tel Dedjazmalch n’a même
pas laissé de quoi subvenir aux frais de son festin funéraire.