mier plateau éthiopien. A l’endroit où nous nous trouvions
régnait l’été; à quelques kilomètres plus haut
on était dans l’hiver. Après une averse torrentielle
tombée sur le plateau du deuga, il arrive parfois que
les eaux, suivant de toutes parts les pentes de terrain,
se rencontrent dans quelque carrefour, d’où elles se
précipitent dans le bas pays avec une soudaineté telle
que les serpents et même le lion, la panthère ou le
singe sont surpris et entraînés jusqu’à la mer. Lors de.
mon arrivée dans le pays, on parlait encore d’une caravane
qui, surprise ainsi durant la nuit, perdit plus
de deux cents hommes et un nombre considérable de
chameaux et de charges d’ivoire.
Cependant, les eâux baissèrent; deux heures après,
nous pûmes reprendre notre marche et nous gagnâmes
enfin Maharessate.
Les parents de la jeune fille volée, qui avaient tout
promis pour sa rançon et pour les dépenses que j’aurais
à faire pour la découvrir, vinrent me la demander en
alléguant leur misère; je-refusai; et quelques jours
après, ils revinrent accompagnés d’amis de Bahar Né-
gache, m’offrir une faible partie de ce que j’avais déboursé
pour eux. Indigné de leur procédé, mais dédaignant
d’invoquer le bénéfice de leurs propres lois, je
leur rendis leur fille.
Peu de jours après, une grande caravane vint camper
près de Maharessate ; elle arrivait du Gojam, et elle
était forte, disait-on, de six cents hommes armés de boucliers,
ce qui avec les esclaves, les porteurs et les sommiers
supposait au moins treize cents ou quatorze cents
personnes. Une quarantaine de pèlerins pour Jérusalem
s’étaient joints à elle. Les principaux trafiquants se
réunirent et vinrent me faire visite; ils me surprirent
dans une prairie où je courais une quintaine avec mès
hommes. Nous nous assîmes en cercle sur l’herbe, et un
des trafiquants, que je connaissais, me présenta cérémonieusement
un moine lépreux, couvert de haillons,
pour lequel tous témoignaient de grandes déférences :
il ne marchait qu’avec peine; sa figure était peu
éprouvée, mais il avait perdu plusieurs doigts des
mains et des pieds.
Après quelques moments de conversation générale,
il demanda qu’on fit silence et il m’annonça que
je pouvais retourner dans les États du Dedjadj Oubié,
lequel venait de s’engager vis-à-vis de lui par serment,
à oublier notre scène- à Maïe-Tahalo et à me traiter
désormais en ami. Le moine parut tout décontenancé,
lorsqu’après l’avoir bien remercié de sa bienveillane
intervention je lui dis que l’éloignement de mon
frère m’empêchait, pour le moment, de retourner sur
mes pas. A ta volonté, reprit-il, il suffit que la paix soit
faite, et que tu puisses aller quand tu voudras vers les
pays dont les sources Rappellent.
Bientôt il demanda à m’entretenir en particulier;
et les assistants étant allés s’asseoir à l’écart, ses manières
devinrent plus familières. Oubié lui avait
avoué, me dit-il, qué lors de ma visite à Maïe-Tahalo,
il buvait depuis le matin d’un, hydromel très-
capiteux, et que la vivacité de mes réponses avait
achevé de le surexciter; que, du reste, ma franchise
ne lui déplaisait pas, et que si je voulais prendre du
service chez lui, il saurait satisfaire mon ambition plus
amplement que le Dedjadj Guoscho. Le moine me
conseilla d’accepter de servir temporairement Oubié,
les événements politiques ne tarderaient pas à me
permettre, ajouta-t-il, de rejoindre honorablement le
Dedjadj Guoscho. Il m’apprit que plusieurs religieux