Je me rendis le lendemain au camp dOubie, et
je fus introduit presque immédiatement. Je trouvai
le prince assis sur un tapis à terre, au milieu de
femmes qui lui tressaient lès cheveux. Il parut
prendre intérêt au récit de mon évasion do Maïe-
Ouraïe et me dit qu’il me savait beaucoup de gré
d’avoir mis mon espérance en lui. Il me fit apporter
à déjeuner et, honneur qu’il n’accordait à personne,
il me servit de ses propres, mains.
Avant de me donner mon congé, il fit soulever la
portière d’entrée, m’indiqua deux hommes à cheval
sur la place et me dit :
— Yoilà les messagers que j’envoie au Dedjadj
Kassa, pour le prier de faire escorter, ta caravane
jusqu’à ma frontière.
Je lui demandai la permission d’aller annoncer
moi-même cette bonne nouvelle a mon frere, et présumant
que ce dernier trouverait difficilement des
porteurs, j’en engageai une trentaine en rentrant
à Adwa, et sur-le-champ je partis avec eux pour
Maïe-Ouraïe.
De son côté, mon frère avait travaillé aussi' à sa
délivrance : il avait fait offrir dix talari a Dabraïe,
qui les accepta,, tout en persistant à réclamer les
deux fusils et le complément de la somme dont il
prétendait nous imposer. Mon frère imagina alors
d’ébranler l’obéissance qu’on avait eue jusque-là pour
les ordres de Gabraïe, en faisant naître chez les
paysans la crainte de déplaire au Dedjadj Kassa lui-
même; il leur représenta qu’en l’empêchant de se
rendre auprès de leur suzerain, ils lé privaient dun
de nos trois beaux fusils de rempart que nous lui
destinions. Les paysans, après délibération, le laissèrent
partir sous bonne escorte. Enchanté du fusil
de rempart, le Dedjadj Kassa fit à mon frère une
excellente réception ; il manda Gabraïe, le réprimanda
et lui fit restituer les dix talari; mon frère les fit
donner immédiatement à l’église du lieu. On servit
un repas, et tout allait pour le mieux, lorsqu’un des
principaux seigneurs de la cour, mû pâr une curiosité
indiscrète, s’avisa de toucher à la barbe naissante
de mon frère; celui-ci répondit par un soufflet.
Heureusement, le Dedjadj Kassa apaisa l’émotion de
ses gens, fit faire des excuses à mon frère et lui dit
que la privauté dont il s’était offensé était sans conséquence;
puis, après l’avoir comblé de prévenances,
il le renvoya, avec un soldat chargé de l’accompagner
et de faire transporter ses bagages par corvées,
de village en village, jusqu’à la frontière ,du Dedjadj
Oubié. Mon frère retourna àMaïe-Ouraïe d’où il
se mit en route pour Adwa, et je le rejoignis avec
mes trente porteurs, d’autant plus à propos qu’il
n’avançait qu’avec la plus grande peine, à cause de
la difficulté, qui se renouvelait à chaque village, de
réunir les paysans de corvée.
Deux jours après nous entrâmes enfin à Adwa.
La route de Halaïe à Adwa se fait ordinairement en
trois jours; nous y avions mis presque un mois;
mais notre fermeté à résister à une demande injuste
avait eu du retentissement et commençait déjà à
nous valoir les égards dont nous avons,joui depuis
dans nos voyages.
Comme il convenait d’annoncer sans retard au
prince notre heureuse arrivée, je me rendis dès le
lendemain chez lui. Il était campé à quelques kilomètres
d’Adwa sur une colline; l’armée campait autour,
sur des terrains nus, accidentés, mais à proximité
de sources et de bons pâturages; les principaux
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