leurs savants confrères en aval, pour donner dorénavant
sans conteste le nom de Nil à la jonction
du fleuve Bleu et du fleuve BlanC. Par ce que j’ai
dit ci-dessus, on voit que le Gojam, le Damote, le
Metcha et l’Agaw-Médir, compris souvent d’ailleurs,
sous le nom unique de Gojam, forment au milieu
de l’Éthiopie une vaste presqu’île terrestre dessinée
par une énorme fissure dont l’Abbaïe arrose le fond.
Au coucher du soleil, nous rejoignîmes le Lidj
Dori et nos compagnons, qui nous firent compliment
sur la rapidité avec laquelle nous avions accompli
notre longue marche; ils n’avaient compté, dirent-
ils, nous revoir que le lendemain. Désormais, nous
cheminions en pays relevant du Dedjadj Guoscho.
Quand meme je n en aurais point été prévenu, je
m’èn serais aperçu à l’empressement joyeux .des
habitants, qui accouraient sur notre passage. Nous
n avancions plus qu’a petites journées, sans précaution
et en marchant a la débandade ; en approchant
de leurs villages, nos hommes prenaient congé du
Lidj Dori, et nous fumes bientôt réduits à trois cents
lances. Quatre jours après avoir quitté Guiche Abbaïe,
nous découvrîmes Dambatcha, où se trouvait le Dedjadj
Guoscho, et nous fîmes halte derrière un pli de
terrain qui nous masquait la ville..
Ymer-Goualou envoya prévenir le Dedjazmatch
de notre arrivée et demander la permission de faire
une entree d’apparat, motivée par la victoire sur
Aceni-Deureusse. Bientôt, ce ne fut plus jusqu’à la ville
qu’un va-et-vient continuel : des amis envoyaient à
mes compagnons des toges, des ceintures ou des culottes
blanches, des pèlerines de guerre ou des sabres
à fourreaux neufs en maroquin rouge, des, mules, des
chevaux frais, des boucliers relevés d’ornements en
cuivre ou en vermeil, des selles d’apparat, enfin, tout
ce qui pouvait rehausser l’éclat de notre petite entrée
triomphale. Quant à moi, après m’être baigné dans
un ruisseau voisin, je mis un turban blanc, des babouches
rouges, un pantalon blanc à la mamelouk,
une ceinture de soie rayée, et enfin une toge que
j’étais loin encore de savoir porter avec aisance. Les
chefs se mirent en selle ; les soldats, déposant leurs
toges, se rangèrent en masse derrière eux, et nous
entrâmes en ville au pas gymnastique, précédés par
des trompettes et des joueurs de flûte.
La nouvelle du combat avec Aceni-Deureusse, le retour
du Lidj Dori et l’arrivée d’un Européen étaient
des appâts plus qu’ordinaires pour la curiosité des
citadins", partout avides de spectacles ; aussi, se pressaient
ils en foule sur notre passage et autour de
l’habitation du Dedjazmatch, en face de laquelle
notre troupe, formée en demi-cercle, s’arrêta en
marquant le pas et en chantant à l’unisson un air
militaire. Les chefs mirent pied à terre, prirent le
Lidj Dori au milieu d’eux, et, s’avançant à quelques
pas du seuil, s’inclinèrent; le jeune prince entra
seul chez son père. Un huissier vint aussitôt m’inviter
à entrer aussi.
La maison du Dedjadj Guoscho, ronde et construite
comme celle du Ras, était pleine de monde;
des huissiers maintenaient avec peine un espace
libre, afin de permettre au Dedjazmatch; à demi
couché sur son alga, dans l’alcôve en face de ,1a
porte, de voir ce qui se passait sur la place. On
me fit asseoir sur un tapis étendu à terre, à la tête
de l’alga; le Lidj Dori resta debout parmi les pages
de son père. Bientôt ceux de nos compagnons qui
s’étaient distingués à l’affaire contre Aceni para