» leur que comme signe manifeste du salut que je
» t’envoie. Viens au plus tôt; je saurai combler tes
» souhaits. Tu trouveras dans mon royaume le meilleur
3> blé de l’Ethiopie, les meilleurs chevaux et des
3> hommes de bonne souche, braves à la guerre, sages
3> au conseil et disposés à traiter en frère l’ami de leur
3> maître. 3>
Mon drogman répondit selon l’usage :
— Que Dieu continue le bonheur à votre maître!
Et après un repas copieusement arrosé d’hydromel,
ils se retirèrent.
Quelques jours après, ils m’annoncèrent que, leurs
affaires étant terminées, ils attendaient que je me misse
en route avec eux. Je leur dis que, pour le moment,
mes projets m’entraînaient.ailleurs, et que je remettais
à un autre temps l’honneur de saluer en personne
leur prince; qu’en ma qualité de voyageur, je devais
me restreindre le plus possible; qu’une mule et une
esclave me deviendraient un surcroît; que je les leur
rendais, mais que je gardais précieusement ma reconnaissance
pour leur maître et que je les priais de
lui faire agréer ma réponse, n’ayant rien désormais'
à redouter plus que d’encourir le’ déplaisir d’un si
puissant prince.
En me quittant, ils m’assurèrent que Sahala Sil-
lassé finirait bien par m’attirer en Chawa.
Cependant, je me lassais de mon inaction forcée.
Le printemps s’écoulait, et la caravane ’ pour l’In-
narya, à laquelle je comptais me joindre, remettait indéfiniment
son départ, à cause de certaines rumeurs
inquiétantes : le pays se préoccupait de moins en
moins, il est vrai, des dangers d’une invasion , de
troupes égyptiennes, mais quelques princes semblaient
se préparer à - la guerre.
J’appris un jour que le Dedjadj Gabrou, frère et
chef de l’avant-garde du Dedjadj Conefo, venaif
d’arriver dans sa maison du quartier de l’Itchagué.
Il m’envoya un soldat pour me dire de me présenter
chez lui; le message, fort laconique du reste,
finissait par ces mots : « Sache, ô Turc, qu’il y a
à gagner à me servir, car je suis celui qu’on nomme
Gabrou. )>
Cette forme me parut d’autant plus blessante
qu’à Gondar, où l’on ne connaissait des Turcs que
leurs vices, l’appellation dé Turc passait pour injurieuse.
Je fis répondre évasivement. Bientôt, je reçus un
second message moins brutal, puis un troisième;
enfin, je vis arriver un homme âgé, à manières
conciliantes, chargé de m’amener à la volonté de
l’impatient Gabrou. Cet homme me dit que depuis
la bataille contre les Turcs, son maître, qui s’y était
signalé, croyait que tout étranger au teint pâle devait
appartenir à la nation turque; que, d’ailleurs, j l était
malade, jeune, impétueux, et que je devais excuser
son inexpérience et l’orgueil bien naturel que lui
inspiraient son rang et ses succès militaires.
J’acceptai les explications de ce médiateur et je
promis ma visite pour le lendemain.
Dès le matin, Gabrou m’envoya saluer courtoisement;
dans l’après-midi, je me présentai et je fus
introduit sans attendre. Il était à demi couché sur
un alga, au fond d’une pièce obscure, pleine de ses
hommes d’armes, debout ou accroupis à terre, et
conversant entre eux. Il fit lever d’un signe deux notables
assis sur un escabeau, au pied de son alga
(lit sans paneaux), me fit asseoir à leur place et se
mit à presser mon drogman de questions sur mon
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