mis tous les ménagements possibles à lui dire le
motif de ma visite; mon soldat, lui, enhardi par
ma présence, parla haut et dur : Ymer se défendit
de l’avoir jamais vu; mon homme offrit de lui déférer
le serment, mais je crus bien faire de me désister
en son nom. Pour effacer l’impression que
pQuvait m’avoir laissée ce litige, Ymer eut la bonté
de m’envoyer, bientôt après, un message bienveillant
et deux belles carabines ornées d’incrustations en
or, pour me prouver, disait-il, qu’en tout cas, la Cupidité
ne l’aurait pas incité à agir comme le disait
mon soldat. Je renvoyai ce présent avec une réponse
faite pour dissiper tout nuage entre nous.
Cependant la pluie menaçait encore, l’eau ruisselait
de tous côtés et les boues étaient telles qu’on ne pouvait
allumer les feux. On se décida à se transporter à
un kilomètre environ sur les terrains ondulés où Monseigneur
avait eu l’intention d’établir notre camp,
lorsque l’ennemi nous était subitement apparu.
Nous y arrivâmes à la nuit tombante: à peine quelques
chefs purent-ils faire dresser leurs tentes; les soldats
ne purent se hutter. La pluie recomménça et persista
jusqu’à l’avant-jour. La nécessité de surveiller les
prisonniers fit que presque tout le monde resta les
armes à la main; ceux qui avaient à garder des chefs
importants les attachaient au moyen de leur ceinture ;
chacun dut tenir son cheval par sa longe ; personne
n’avait eu le temps de manger et beaucoup étaient à jeun
depuis la veille. Néanmoins, l’entrain des soldats ne se
démentit pas; la pluie, la froidure, l’obscurité, la fatigue
et la faim réunies ne purent dompter leur gaieté. Qn se
serrait les uns contre les autres, en s’abritant de son
bouclier ou de quelque ustensile de campement, et les
passe-temps les plus variés se succédèrent sans interruption
: des cavaliers revenaient par petites troupes
de la poursuite des fuyards : on les bernait au passage;
le Lidj Mokouannen fut ramené vers le milieu delanuit.
Ceux qui avaient perdu leur servante, leur femme, leur
cheval ou leur âne, circulaient en proclamant leur
signalement et terminaient leur criée par une malédiction
pour ceux' qui, pouvant donner des renseignements,
ne les donneraient pas. Ces appels provoquaient
des facéties et brocards.
L’un entonnait un chant militaire, un autre le parodiait.
Ici, deux amis simulant une querelle se galvaudaient
au milieu des rires; là, quelque boute-entram,
recourant à cette source éternelle de comédie, improvisaient
un oariste où il donnait le beau rôle au mari.
Les femmes réclamaient de tous côtés, les hommes soutenaient
leur champion, des bordées de paroles s ensuivaient,
et, soit dit à l ’h o n n e u r des Éthiopiennes, les
servantes même les mieux langüées se taisaient confuses
devant la faconde de leurs adversaires. Les redoublements
de la pluie formaient comme les intermèdes
de ces saynètes conduites avec une verve grossière
parfois et parfois aussi du meilleur comique. Tant est
q u e c e t t e nuit incommode, mais doublée d’une victoire,
passa légèremefit sur nous; seulement, de loin en loin,
on entendait les sinistrés ricanements des hyènes qui
se repaissaient sur le champ de bataille.
Lô soleil se leva sans nuage; on se réchauffa, on se
détendit un peu, et chacun fit l’inventaire de ses comestibles;
la plupart les partagèrent avec leurs prisonniers.
Les pâtureurs, munis de leur lopin de nourriture, nous
débarrassèrent de tous les a n i m a u x ; les bûcherons et
les coupeurs d’herbe partirent dans toutes les directions;
les hommes de corvée allèrent à la recherche
des matériaux pour les huttes, et bientôt e les s e