rang, chaque individu en a sa part; souvent on dirait
que c’est l’égalité qui règne. L’avancement n’étant soumis
à aucune gradation fixe, celui qui se croit dans
un rang bien inférieur à son mérite peut espérer atteindre
de prime-saut le grade élevé qui lui est dû,
et en attendant, il rappellera à son supérieur, avec
une familiarité respectueuse, les titres qu’il croit
avoir à l’avancement. On voit un soldat, occupé à
quelque service des plus humbles, se redresser fièrement
et traiter presque d’égal à égal un homme
d’un rang plus élevé que le rang de celui dont il est
le serviteur. S’il sert un homme peu fortuné, il se
multipliera pour remplir les fonctions de coupeur
d’herbe, de palefrenier, de pâtureur, ou même de sommier;
mais, dès qu’il a achevé sa corvée journalière,
il se rapproche de son maître comme page, comme
servant d’armes, et il croira se relever ainsi de ce
qu’il peut y avoir de servile dans ses premières occupations.
Mon dessein n’a point été de préconiser ici le
régime féodal. Prévenu contre ce régime, comme la
plupart des hommes de mon temps, j’ai cependant
été amené à me demander, en le voyant fonctionner,
si la reconstruction que nous en' offre l’histoire est
plus faite pour nous donner l’idée de la féodalité et
l’intelligence de ses allures et de leurs effets, que la
reconstruction, même complète, du squelette d’un
homme ne le serait pour nous donner l’idée exacte
de ses mouvements habituels, de son geste et de son
tempérament, et si nos jugements ne sont pas aujourd’hui
encore influencés par les ressentiments trop
souvent légitimes qu’éveille le souvenir récent d’une
forme sociale mutilée et corrompue.
Ce qui frappe le plus quand on entre un peu
avant dans l’esprit du pays, c’est l’aisance avec
laquelle les indigènes portent ce harnais de lois, coutumes,
règlements et usages, qui enserre toute société;
et ce*qui rassure et console, en voyant ces ambitieux
Dedjazmatchs, ces seigneurs turbulents, ces paysans
toujours la main sur leurs armes, ^c’est de sentir
qu’au-dessus d’eux tous plane en souveraine une opinion
publique, faillible sans doute comme tous les
souverains de la terre, mais vigilante à contenir ou à
réparer les excès. Il semble que Dieu supplée ainsi
à la direction de ceux que leurs institutions dirigent
le moins.