leurs moeurs. Allez.; le Prince décidera relativement à
vous. Nous n’avons affaire qu’avec ceux qui insultent
notre Foi.
Le Père Sapeto revint et se jetant à mon G0U i
— Dieu vous a inspiré, me dit-il; nous sommes,
sauvés; toutes mes réponses ont été acclamées !
Mais ce qu’il ne me dit pas, c’est qu’il était jeune,
confiant, de façons séduisantes, et que, lorsqu’on doit
r é u s s i r , tout, jusqu’à l’imprudence, semble y concourir.
Les missionnaires allemands comparurent à leui
tour : leurs réponses furent, a ce quil parait, dune
acrimonie déplacée; l’un de ces messieurs injuria le
culte des Éthiopiens pour la Sainte Vierge et les traita
d’idolâtres. L’exaspération de l’assemblée fut à son
comble; l’abbé dut contenir les soldats, qui voulaient
châtier sur l’heure les détracteurs de leur foi, et il
congédia les missionnaires allemands, leur enjoignant
de quitter le pays dans les vingt-quatre heures.
Nous nous rendîmes chez ces messieurs, Ils
redoutaient surtout le moment de leur sortie de la
ville; nous leur promîmes de'les accompagner durant la
première journée de route, dussions-nous, par cette démarche,
provoquer contre nous-mêmes l’expulsion qui
les frappait. Ils obtinrent un sursis de quarante-huit
heures pour faire leurs préparatifs de départ. Comptant
sur un établissement durable, ils s’étaient munis d’approvisionnements
en tous genres: une bibliothèque, des
caisses d’armes, d’outils et de poudre, quantité de choses
pour présents, des vins, de la bière, des liqueurs, des
Conserves alimentaires, une batterie de cuisine : autant
d’embarras dans un pays ou tout se transporte à dos
d’hommu ou à dos de mulet. Jamais, disait-on, il n e -
tait sorti d’Adwa une caravane aussi nombreuse que
celle qu’allait former fa suite des missionnaires. La
ville, ordinairement si tranquille, fut mise en émoi
par les rassemblements bruyants des porteurs et des
muletiers qui, profitant de l’occasion, exigèrent un salaire
plus que double*. Le prince envoya des soldats
pour protéger le départ; néanmoins nous accompagnâmes
ces messieurs assez loin d’Adwa.
Comme nous l’avons dit déjà, ils avaient été bien
reçus d’abord en Tigraïe. Un de leurs compatriotes,
M. Samuel Gobât, aujourd’hui évêque protestant en
Orient, les avait précédés en Éthiopie, où il avait
voyagé en se conformant modestement aux usages du
pays et en laissant adroitement dans l’ombre son caractère
de pasteur protestant. Le rapport qu il fit à ses
supérieurs motiva* l’envoi de ses successeurs ; mais
ceux-ci, moins heureusement inspirés, ne tardèrent
pas à se rendre hostiles ceux des indigènes qui ne
tiraient d’eux aucun profit. Trompés par des complaisants
intéressés, ils firent venir à grands frais 1 attirail
volumineux du bien-être d’Europe, sans s apercevoir
que la supériorité matérielle qu’ils affichaient
ainsi humiliait les habitants d’un pays pauvre, mais
fier. Leur conduite hautaine et irréfléchie faisais dire
aux Éthiopiens : « L’esprit de ces étrangers est troublé
par l’excès du bien-être. » Le clergé les vit d’abord
avec indifférence ; mais, blessé par leurs critiques immodérées,
il se ligua bientôt contre eux.,A mesure que
leur disgrâce approchait, la rapacité des courtisans du
prince s’accrut; les missionnaires voulant la contenir,
ne surent qu’aigrir davantage les esprits ; un des deux
généraux d’avant-garde, qu’ils offensèrent jusqu’à lui
refuser leur porte, monta immédiatement à cheval, se
rendit auprès de soji maître, et, se disant l’écho de la
voix publique, exposa énergiquement, avec les torts
réels qu’on pouvait reprocher à ces étrangers, des