mara, dans le Fonogara, à une petite journée de nous.
Transporté de joie à cette nouvelle, il me pressa
vivement de profiter de l’occasion pour faire la
connaissance d’un prince aussi puissant, son ami,
disait-il, et un des hommes les plus accomplis de
l’Éthiopie. Mais j’étais désireux' de regagner Gon-
dar, car il était bruit que la caravane pour l’Inna-
rya se mettait enfin en mouvement; d’ailleurs, le
Dedjadj Guoscho devait être prévenu contre moi.
Environ deux mois auparavant, sur le rapport exagéré
des cures que j’opérais à Gondar, il m’avait
fait prier de venir traiter son fils aîné, frappé
depuis longtemps d’une espèce d’aliénation mentale,
et, afin de me débarrasser plus tôt des instances de
ses messagers, j’avais omis de leur offrir l’hospitalité,
ce qui était un manque d’égards envers lui.
J’engageai le Lik à l’aller voir et à me laisser rentrer
à Gondar.
.— Je suis vieux, me dit-il ; j’ai fait bien des
routes dans ma vie, sans jamais abandonner un
compagnon, pour tenter à moi seul une aventure
agréable; je ne veux pas commencer aujourd’hui.
Qui a compagnon a maître ; puisqu’il te faut aller
à Gondar, allons-y. Tout n’arrive-t-il pas avec la
permission de Dieu?
Chemin faisant, mon drogman, peu suspect de
partialité pour le Lik, fut touché de sa résignation,
et me fit observer que c’était presque malheureux
cette fois d’avoir eu raison de lui, car tout en se
faisant fête de saluer un ami dans le Dedjadj Guoscho,
il avait espéré obtenir de lui quelques secours
pécuniaires. Je m’empressai de dire à mon indulgent
Mentor que s’il lui répugnait tant de me laisser
rentrer seul, moi, je manquerais toutes les caravanés
pour l’Innarya, plutôt que de lui causer à la
fois un chagrin et un dommage.
Il m’écoutait bouche béante, riait, regardait nos
gens, enfin il m’embrassa.
— Merci, mon enfant! que Dieu te fasse voir
les fils de tes fils,-et, quand tu seras vieux, qu’on
s’incline devant tes désirs comme tu t’inclines devant
ceux d’un vieillard déchu comme moi! C’est
que, vois-tu, ce prince est un honnête chrétien, .intelligent,
généreux. Figure-toi bien que tu n’as vu
jusqu’à présent que des bandits; tu verras en lui
un véritable prince. Cette maison de Gouksa est
une caverne d’usurpateurs, de renégats ; celle de
Guoscho-Zaoudé est bâtie sur la tradition, le droit,
la justice. Je tenais à ce- que tu pusses emporter
une idée favorable de ce qu’a été notre malheureux
pays.
Et se tournant vers mes gens :
— Vous verrez, vous autres, comme nous allons
être bien reçus. Ne craignez rien; c’est ici tout près,
un sentier en plaine et des sources partout.
J usqu’à mon drogman, tous nos gens étaient gagnés
par sa joie.
Quant à moi, j’avais refusé à deux reprises de
connaître le Dedjadj Guoscho; je croyais inutile de
me présenter devant lui, et cependant je devais
partager si longtemps son orageuse destinée!.....