l’ennemi à terre. Cette odieuse coutume leur vient de
l’invasion d’Ahmed G-ragne, qui, désespérant de leur
faire jamais accepter l’Islamisme, entreprit d’éteindre
leur race entière.
En Europe, on est trop porté à méconnaître la haine
invétérée des musulmans contre tous ceux qui ne sont
pas de leur religion et surtout contre les chrétiens.
Aujourd’hui, que la force est à la chrétienté, ils sentent
qu’ils seraient mis au fian et dépouillés de tout
bénéfice du droit des gens, s’ils, ne dissimulaient l’esprit
qui les»anime ; et, lorsque leur férocité se trahit de
loin en loin par quelques-uns de ces actes qui font frémir
l’Europe, ils s’empressent de les désavouer, et
l’opinion publique les explique trop aisément par cette
tendance à la cruauté qui persiste malheureusement au
fond des races les plus civilisées. Quand on a surpris
le musulman dans sa* vie intime, quand on l’a vu agir,
lorsqu’il se croit hors portée de cette opinion publique
de l’Europe qui pèse sur lui, l’obsède et en a fait cet
être rusé, astucieux, dédaigneux, fastueux et arrogant
qui induit en erreur tant de nos coreligionnaires,
et les leurre de l’espérance de sa transformation,
on est convaincu que ses moindres actes sont inspirés
par un fanatisme implacable, et on ne s’étonne
plus que, dans cette lutte sans témoins, au
centre de l’Afrique, il ait osé entreprendre d’effacer
le christianisme^-en arrêtant la génération dans tout
un pays peuplé de plusieurs millions d’hommes. Malheureusement
, comme il arrive trop souvent, les
Ethiopiens usèrent de représailles et s’habituèrent.à
déshonorer par cette coutume cruelle les guerres qu’ils
ont faites depuis. C’est un phénomène étrange et qu’on
retrouve en tous pays, que la persistance des hommes
à pratiquer des coutumes qu’ils réprouvent eux-mêmes
Tous j.es Éthiopiens condamnaient celle qui nous occupe,
et tous néanmoins s’en rendaient coupables à
l’occasion; mais dès le lendemain du combat, ils faisaient
disparaître soigneusement les traces de leur
action, et tout homme qui se respectait évitait d’en
parler. Mes représentations au Dedjadj Guoscho, ou
plutôt l’influence de ces idées généreuses qui ont cours
en Europe et fusent providentiellement jusqu’aux extrémités
du globe, ont fait cesser en partie cet odieux
abus de la victoire, et, lorsque je quittai le G-ojam, il
était tacitement admis qu’un homme de bonne condition
se déshonorait en traitant ainsi un ennemi chrétien.
Chez les simples soldats, la réforme s’opérait
plus lentement, parce que ces dépouilles sanglantes
prouvent le nombre d’ennemis qu’ils ont tués, et sont
autant de titres à l’avancement.
Le gros des , combattants arriva enfin ; ils firent
leur entrée, chantant en choeur une espèce d’embatérie.
Le Lidj Dori fut placé sur un haut alga, et fantassins,
cavaliers et fusiliers, qui avaient tué ou fait des prisonniers,
vinrent l’un après l’autre débiter leur thème de
guerre devant lui. Ensuite, chacun alla déposer son
bouclier, ses armes, desserrer sa ceinture, reprendre
sa toge et se mêler aux groupes, pour raconter ses impressions
personnelles ; en dernier lieu, cortège obligé,
arrivèrent les blessés et quelques morts portés sur
des civières. -
Comme nous étions en carême, bon nombre de
vainqueurs allèrent faire la sieste, pour mieux attendre
l’heure tardive du repas.
Les Éthiopiens font durer le carême deux mois. Ils
s’abstiennent de viande, de lait, de beurre, d’oeufs, et,
dans quelques provinces, même de poisson ; ils ne font
qu’un setil repas vers la fin du jour, et ils s’abstiennent
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