Après quelques, jours passés au camp, j’étais revenu
à Gondar, lorsqu’un matin la ville fut réveillée
par les soldats de Birro, qui arrivait encore de la
poursuite de l’insaisissable Woldé Téklé. Birro m’envoya
prévenir, et j’allai le trouver dans une église où il
se reposait. Il me dit que Gondar n’était qu’un ramassis
de vils marchands, de grandes dames au rabais, d’ec-
clésiastiques faux savants et de clercs séditieux,
et que je devais en avoir assez. « Pendant que les
soldats se rafraîchissent, ajouta-t-il, allons respirer
un air moins impur. » Et, suivis de quelques cavaliers
seulement, nous partîmes au galop, laissant la ville
sens dessus dessous. Il m’emmena à l’ancienne habitation
de son aïeule, l’Itiégué Mentewab, femme et
mère d’empereur.
. Cette habitation, située à un kilomètre environ de
Gondar, au pied des montagnes qui entourent la
ville, consiste en un joli pavillon flanqué d’une tour
carrée, bâti à la chaux et à l’européenne, tout auprès
d’une église bâtie également par l’Itiégué et dédiée
à Notre-Dame, sous la vocable de Koskouam, nom
donné par les Éthiopiens au lieu de refuge choisi
par la mère du Sauveur durant son exil en Égypte.
Quelques misérables huttes de paysans groupés autour
forment seules aujourd’hui la paroisse. Cachées
au milieu d’un bouquet de grands arbres toujours
verts, l’église et l’habitation, qui se décèle par sa
haute tour, offrent un des points les plus pittoresques
des environs de la ville.
L’Itiégué Mentewab, qui vivait encore au temps
du voyageur Bruce, représente une des physionomies
les plus attrayantes du déclin de l’Empire. Native
de la province.de Kouara, elle fut amenée à Gondar
dans son enfance par sa mère, qui . ayant perdu son
mari, dut suivre elle-même un procès en Cour suprême;
et les pages impériaux, frappés de la beauté
de l’enfant, en parlèrent devant l’Empereur comme
d’une merveille. La mère obtint justice, et l’Empereur
retint l’enfant, qu’il confia à ses femmes et qu’on
surnomma Mentewab (Que tu es jolie /), nom que les
pages' lui avaient donné en la voyant. Elle grandit
dans le palais, oubliée durant quatre années. Un
soir à souper, un des familiers parla d’elle, et l’Empereur
désira.la voir;.mais il s’endormit sans y plus
penser, et s’étant réveillé avant le jour, il aperçut
debout, au pied de sa couche, la belle et gracieuse
Mentewab, qui seule veillait sur lui, un flambeau
de cire à la main.
Mentewab, devenue Itiégué (Impératrice), confirma
sa haute position par la sagesse et la retenue de sa
conduite, ne cessant de protester par son exemple au
.moins contre les vices de la cour de son mari et de
celle de son fils, qui succéda à son père sous le nom
de Yassous. Elle savait vivre le jour en princesse et la
nuit, dit-on, elle se soumettait aux plus dures austérités
de la pénitence. Durant quarante années elle
exerça par son mari, son fils et sa famille une puissance
souveraine, suffisamment interrompue par des
vicissitudes pour rendre manifestes la force et la bonté
•de son caractère. En tout pays, on voit de ces êtres
que la fortune semble se complaire à élever, à abaisser
et à ’retourner dans sa main, comme des joyaux dont
elle veut faire briller toutes les faces.
C’était la première fois que Birro visitait l’église
et l’habitation de son aïeule. Le clergé n’avait pas eu
le temps de s’y réunir, mais un vieux religieux que
nous trouvâmes à la porterie nous servit de cicerone.
Birro devint mélancolique en voyant le domaine dé