mur de pignon, au milieu duquel la baie cintrée
de la haute porte d’entrée se découpe sur le ciel.
Les salles de bains, les étuves sont/ défoncées; les
chambres des femmes n’abritent plus que les oiseaux
de nuit; la trésorerie, le garde-meuble, les cuisines,
les écuries, les appartements où les Empereurs se
retiraient, dit-on, avec leurs familliers pour se reposer
dë la rigide étiquette de la cour, tout est inhabitable,
et personne dans le pays n’était capable
même de fabriquer la chaux pour réparer les dégâts
causés par le temps. Une ancienne prison et la
grande salle ou se tenait le plaid impérial sont les
seules parties bien conservées. Un vieillard de G-ondar
disait, en me racontant des anecdoctes sur les
Empereurs : .
Dieu veut qu’au milieu de ces débris, la prison
et la salle des plaids restent debout, pour témoigner
contre les violences iniques de notre Famille impériale.
Les indigènes, quoique habitués aux aspects grandioses
’ et austères de leur pays, s’arrêtent devant
cette demeure avec un sentiment de mélancolie respectueuse;
quant à l’Européen, il est surpris agréablement
comme par une image de. la patrie, mais
bientôt, il cède aussi à la tristesse, en considérant
ce palais mutilé, hautain encore, au milieu des
humbles maisons de Gondar, comme un vétéran
déguenillé, prêt à raconter aux enfants les guerres
d’autrefois.
Le Lik Atskou s’arrêta sur le palier d’un large
escalier extérieur; un enfant demi-nu nous ouvrit la
grande porte d’une espèce de corps-de-garde, d’où il
nous introduisit dans la salle des plaids, vaste pièce
rectangulaire et dénudée, à l’extrémité de laquelle était
accroupi sur un lit à baldaquin l’Atsé ou Empereur,
Sahala Dinguil. Le Lik Atskou salua comme s’il se
fût présenté devant le plus magnifique des Rois, et l’on
nous fit asseoir par terre, sur un lambeau de natte.
Sahala Dinguil, vieillard d’environ soixante-dix
ans, avait le teint coloré et presque aussi clair que
celui d’un Européen, la chevelure crépue et blanche
comme la neige, le front haut, uni, l'oeil vit, la
figure pleine et imberbe; toute sa personne un peu
vulgaire était empreinte d’une jovialité sensuelle. Il
trônait en toute sérénité sur un bois de lit indien,
portant encore les restes d’une riche marqueterie
en ivoire et en nacre ; un tapis turc, râpé et trop
étroit, laissait à découvert une partie des fonçailles.
Quatre petits pages en haillons, un eunuque difforme
et deux vieillards se tenaient immobiles et les
yeux baissés de Chaque côté du pauvre trône.
On me demanda quelque remède panchymago-
gue, quelque panacée infaillible, pour la femme de
Sa Majesté, la mère de son héritier, son âme, sa
vie, ajouta-t-on; mais on me décrivit la maladie
en termes tellement discrets et vagues, que je dis
que . je ne prescrirais qu’après avoir vu la malade.
Là-dessus, on se consulta d’un air mystérieux, et je
fus .co.nfié à l’eunuque, qui m’introduisit seul dans
le harem impérial. Il est de ces mots pleins d’enchantements
pour un jeune homme et pleins de
désillusions aussi. Je trouvai, couchée à côté d’un
brasier ébréché, en terre cuite, une femme d’un
âge mûr, d’une corpulence formidable et d’une
figure commune; son genre de maladie était à l’avenant
: l’excès de nourriture l’avait réduite où elle
en était. J’assurai à l’Empereur qu’elle guérirait sous
peu, à condition d’observer un régime sévère.
En regagnant notre logis, le Lik Atskou s’égaya