la main, prenaient refuge dans. les cavernes et autres
lieux-forts qu’offrent si fréquemment les kouallas;
ils y vivaient d’herbes, de racines ou de la viande
des animaux sauvages, s’entendaient pour harceler
les troupes musulmanes qui, à leur tour, les traquaient
comme des bêtes fauves, et, dès que le conquérant
se portait sur d’autres points de l’Empire, ils
reparaissaient sur les deugas et s’approvisionnaient en
dévastant ce qu’avait laissé l’ennemi. Un grand nombre
de ces refuges purent se soustraire aux armes des
Musulmans. Mais, malheureusement, les monuments
nationaux furent détruits à tout jamais, cc Gragne
ne put nous assujettir, disent les indigènes : il paraissait,
rien ni personne ne restait debout devant sa
face ; mais tout se redressait contre lui, quand il
était passé; et cet obscur rebelle, ce voleur de grands
chemins n’aurait jamais pu faire impression sur
nous, si nous n’eussions été divisés et affaiblis déjà
par une série d’Empereurs qui nous avaient enlevé
les choses de nos pères. »
Sitôt après la mort d’Ahmed Gfragne, les populations
rentrèrent dans leurs provinces, et ce dut
être un étrange spectacle que celui de tout un
peuple revenant ainsi d’un exil de plusieurs années
et reprenant avec ordre possession de l’héritage de
ses pères. En conséquence de leur organisation
vivace, dès leur rentrée, les communes se trouvèrent
reconstituées régulièrement ; encouragées par
le clergé des campagnes, elles se dressèrent devant
l’Empereur, reprirent leurs droits, et la lutte recommença
aussi vive que jamais. Les querelles
religieuses l’avivèrent, et ces populations, quoique
réduites, se livrèrent de nouveau aux guerres civiles.
Grâce à l’unité de commandement, les partisans
du 'Césarisme éthiopien l’emporterent encore
une fois, et les Empereurs purent operer sans entraves
la restauration de leur pouvoir d’après les formes
les plus commodes pour leur omnipotence.
Mais quelque ingénieux que soit un législateur
à disposer une société sur un plan préconçu, et
quelque puissant qu’il soit, elle échappe toujours
en quelques parties à ses prévisions et amene par
là l’écroulement de son édifice. L’homme n invente
pas plus une société qu’une langue ; il contribue
à leur vie ; il les peut modifier; trop souvent, il ne
fait que les corrompre. L’invasion de. Gragne était
venue au moment où les Dedjazmatchs commençaient
à se retourner contre l’Empereur. Celui-ci,
ayant maîtrisé encore une fois les communes, disposant
à son gré d’une aristocratie décimée' et
ruinée par la récente invasion, et debarrasse en
même temps des craintes que lui avait données
la puissance déjà excessive de ses Dedjazmatchs,
aurait fait un retour sur lui-même: la solitude de
son pouvoir l’effraya ; il dit à ses conseillers .
— Le fils de l’homme nés. saurait porter seul la
toute-puissance.
Mais il n’eut ni la grandeur d’âme, ni la prudence
de déposer ses pouvoirs usurpés et de reprendre
ceux que lui conféraient les, constitutions
primitives. Il crut sauver l’Empire par des demi-
mesures : il rendit par octroi aux communes une
partie de leur autonomie; mais pour les maintenir
dans sa dépendance et en imposer en même temps
aux Dedjazmatchs et autres grands Polémarques
dont il restreignit le nombre et les attributions
judiciaires, il forma, des terres qui étaient restées
sans maîtres, des fiefs ingénieusement répartis,