tous ses vassaux se rendaient auprès de lui. Au nord
du village, et sur la partie culminante de la montagne,
deux grandes enceintes concentriques, formées
d’un fort clayonnage renfermaient plusieurs
vastes huttes rondes éparses, où il demeurait avec
une partie de son service; les huttes construites en
clayonnage étaient recouvertes dé toits coniques en
chaume. Il y avait la maison dite des chevaux, celle
des cuisinières, celle de l’hydromel, celle des orfèvres,
celle du confesseur et des clercs, tant écrivains
que légistes, celle du trésor qu’on disait être
ordinairement dégarni, et enfin la demeure de la
femme du Ras et de ses suivantes favorites. En dehors
des enceintes, se dressaient sans ordre seize à
dix-sept cents maisons, huttes, cases de toutes dimensions,
quelques tentes même, où demeuraient
les officiers et soldats de service, les compagnies de
fusiliers, les courtisans, tous ceux enfin qui vivaient
habituellement auprès du Ras.
Nous mîmes pied à terre à l’entrée de la première
enceinte, au milieu d’une foule remuante et
clameuse. La façon pittoresque et hardie dont la
plupart étaient enhaillonnés de leurs toges, les chevelures
tressées, les poses fi ères, les gestes mâles,
l’absence de têtes grises, tout indiquait des hommes
de main, apprentis pillards au service des seigneurs,
C’étaient des pages, des soldats, espèces de
menins qui les accompagnent partout et toujours,
veillant sur eux, partageant leurs joies et leurs chagrins,
toujours prêts à recevoir leurs confidences ou
leurs ordres, à l’église, à table, en marche, partout,
dormant auprès d’eux, incarnés enfin à ces patrons
dont ils empruntent les qualités et les viçes, dont
ils connaissent mieux les affaires et prennent les
intérêts avec plus de vigilance qu’eux-mêmes. En
échange de leur dévouement, ils reçoivent des investitures
et des positions, qui les mettent souvent à
même de devenir à leur tour lejs protecteurs ou même
les patrons de leurs premiers maîtres. Il y avait là
des servants d’armes ou porteurs du bouclier et de
la javeline du maître; d’autres portant des estrama-
çons, sorte d’épée à deux tranchants, à poignée
cruciale garnie d’argent, qu’on porte à l’épaule dans
de longues housses écarlates, dèvant les Dedjazmatchs
et certains chefs de haute marque; des palefreniers;
des fusiliers avec leurs carabines à mèche, leurs
cartouchières à pulvérin pendant; mules richement
enharnachées ; chevaux de combat piaffant sous leurs
housses écarlates; boucliers aux brillantes lamelles
d’argent, de vermeil ou de cuivre; javelines et sabres
de toutes formes ; dards effilés et tçagules, lo-
rillarts, eselavines et zagayes, coutelas, bancals, lattes,
cimeterres et harpés à l’antique. Ici, un groupe de
paysans, aux cheveux courts, guettant le moment
propice pour se plaindre de quelque avanie; là, des
bouffons, boufîonnant au milieu des rires; des pieds
poudreux de tout acabit ; des chiens en laisse se
hargnant; des pages émerillonnés, la toge en loques,
se glissant partout, se picotant, se bravant entre eux-
ou chantant pouille à quelque passant malencontreux.
A notre apparition, tout ce monde fit silence
et m’entoura avec une curiosité fort peu respectueuse.
Le Lik Atskou échangea quelques paroles
avec les huissiers, et heureusement ils nous laissèrent
pénétrer dans l’enceinte; là, le spectacle était
tout différent. Environ trois cents hommes, quelques-
uns debout, d’autres accroupis sur le sol poudreux,