ITnnarya j’espérais, s’il le trouvait bon, nfiarrêter
plus longtemps auprès de lui.
Le lendemain matin, je fus surpris d’être appelé à
l’heure qu’il consacrait d’ordinaire à l’expédition des
affaires. Le Blata-Filfilo, Ymer-Sahalou et ceux de ses
familiers avec lesquels j’avais le plus de rapports, se
trouvaient auprès de lui. Mon drogman ne fut pas admis
; on envoya quérir le clerc, et dès qu’il parut, le
Dedjazmatch rompit enfin un silence qui me pesait.
— Mikaël, me dit-il, tu es entré chez nous sous
d’heureux auspices, le sage Lik Atskou m’ayant dit du
bien de toi. Les hommes du Gojarm n’avaient jamais
vu un homme de ta race ; tu as excité leur intérêt, et
mes familiers te diront que, depuis ton arrivée, si j’ai
hâte de terminer l’expédition journalière des affaires,
c’est pour causer avec toi. On dit chez nous que l’affection
naît de l’habitude. Nous espérions d’autant
plus que tu te laisserais aller à ce sentiment, que nous
te sommes frères par la foi chrétienne; nous avons
tâché, selon nos moyens, de rendre heureux ton séjour,
et nous nous habituions à l’idée de sa durée. Mais voilà
que déjà tu songes à te séparer de nous, non pour
regagner ton pays, mais pour aller chez ces Gallas,
gens grossiers, ignorants, sanguinaires, où tu n’as
aucun protecteur. Je ne cherche pas, en t’alarmant, à
te détourner de ton voyage; mais il est plus d’une
façon de l’entreprendre, et celle que tu as choisie nous
paraît la moins prudente. Qui peut prévoir les impressions
que ta vue fera naître chez ces Gallas ? Ils sont
dans toute l’obscurité du paganisme ; on dit même
qu’ils pratiquent quelquefois le sacrifice humain. Ces
trafiquants musulmans auxquels tu veux te joindre te
trahiront à la première occasion; et quand cela ne
serait pas, ta manière d’être est inconciliable avec
celle de ces hommes frappés à nos yeux d’infamie, ne
fût-ce que pour leur trafic de chair humaine. Tu es
venu de si loin, dis-tu, pour apprendre les coutumes
et les hommes de notre pays? Tu ne nous connais pas;
c’est à peine si tu as bu à nos sources, et tu ne parles
pas encore notre langue, et la tienne nous est inconnue,
Moi qui serais ton père par mon âge, je suis encore
trop jeune et trop absorbé par les soins de mon gouvernement,
pour avoir de nos pays une connaissance
complète. Mais voici Filfilo, qui a vécu plus^ que moi,
et qui sait davantage ; il te - dira si nous manquons
d’hommes instruits que nous consultons comme des
maîtres. Je n’ai qu’à ordonner, et des théologiens, des
légistes, des historiens, des hommes sages connaissant
les légendes, les coutumes et tout ce qui est dans nos
pays, viendront s’entretenir avec toi. Nous autres, nous
te raconterons les choses de notre temps, et si tu veux
affronter avec nous les privations, nous accomplirons
ensemble notre histoire actuelle. Enfin, si malgré tout,
le désir de visiter les Gallas continue à te préoccuper,
sache que nous poursuivons leur réduction, et qu’il est
possible qu’avant peu notre armée passe de nouveau
sur leur territoire. Durant mon enfance, j’ai vécu
parmi eux; je parle leur langue, et j’ai conservé des
relations amicales avec plusieurs de leurs notables à
qui je pourrai te recommander. Mais que dirait-on de
moi, si je te laissais partir dans les circonstances actuelles?
Toi-même, plus tard, tu ne manquerais pas
de me juger sévèrement, ' Consulte-toi bien, Mikaël;
tu dois sentir que tu as nos sympathies. Prends garde
d’abuser de cette faveur de Dieu, en t’éloignant imprudemment
d’amis qu’il te donne si loin de ton pays,
TrèS-toüché de ces paroles, je.répondis au Dedjaz-
match qu’en quittant famille et patrie pour voyager,-