pend de la fermeté et de l’intelligenee du chef
chargé de diriger l’arrière-garde, dont l’importance
varie selon la configuration du pays et la réputation
belliqueuse des habitants. Il est très-rare que
ces Gallas attaquent un camp un peu considéra- '
ble de jour, quelque dégarni de soldats qu’il puisse
être. Le Dedjazmatch jugeait d’ailleurs que nous
étions encore trop près de l’Abbaïe pour avoir à
craindre une surprise de cette nature.
L’invasion dont j’étais le témoin reveillait naturellement
en moi le souvenir de ces hordes de barbares
lancées jadis à la destruction des plus riches contrées
de l’Europe, et me donnait une idée saisissante et
sinistre de ces immenses tragédies, qui, heureusement,
ne se voient plus chez nous, où chaque famille se sentait
isolée en face d’une armée, dont elle surexcitait
la férocité par sa faiblesse même.
Bientôt quelques cavaliers arrivèrent à toute bride,
en débitant leurs thèmes de guerre; ils rapportaient
d’horribles dépouilles humaines appendues à leurs
boucliers ou au frontal de leurs chevaux. Fantassins
et cavaliers se succédèrent, charges de butin, et poussant
devant eux des prisonniers : des femmes, des enfants
et même des vieillards. Ces tristes spectacles me
portèrent à faire une remarque un peu severe, qui,
quoique faite en mauvais amarigna, fut comprise et
répétée. Au repas du soir, pour la première fois, le
Prince ne causa pas avec moi ; le lendemain, il me fit
appeler avant le déjeuner et me dit :
— Revenons un peu sur tes paroles d’hier. La
guerre que nous faisons te paraît peu digne de ce nom?
Il faut pourtant bien réprimer les cruautés que ces
païens commettent sur nos frontières, où ils éventrent
même nos femmes enceintes. Je les menace, ils n’en
tiennent pas compte; je viens les combattre, ils n’acceptent
pas la bataille ;, nous détruisons alors leur
pays, et comme ils sont braves, l’espoir de se venger
les ramène à notre portée. Quant aux cruautés de nos
soldats, surtout celles de nos paysans auxiliaires, je
les déplore; mais d’une part, ce sont des représailles;
de l’autre, tu dois savoir que des soldats qui agissent
isolément sont ordinairement plus inhumains que lorsqu’ils
combattent par troupes. Si les panthères pouvaient
aller par bandes, elles deviendraient moins
cruelles. Les Gallas ont quelques belles qualités sans
doute, mais ils ne les mettent en exercice qu’entre eux ;
dans leurs relations avec nous, ils deviennent mauvais,
et nous ne pouvons les atteindre qu’en agissant comme
eux. Pèse un peu toutes ces circonstances, et avec le
temps, ton opinion se modifiera, j’en suis sûr.
Un sôir, rentrant fort tard, par une obscurité profonde,
je trébuchai contre un homme couché auprès
des restes du feu allumé, suivant l’usage, devant ma
tente. Les hommes de garde endormis furent sur pied
à 1 instant ; on apporta une torche, et nous vîmes un
Galla, presque nu, qui s’était glissé parmi les dormeurs.
Outre deux blessures, le malheureux avait subi
1 éviration. Je lui fis donner une boisson composée
de miel et de graine de lin, et on l’étendit sur un lit
d herbes seches, à cote d’un bon feu. Le lendemain, il
me fit par interprète le récit suivant :
— Je suis maître de maison; j’ai épousé une fille
de bon lieu, et j’ai deux enfants. Ayant conduit mon
bétail dans un district voisin, je revenais pour prendre
ma famille, lorsque je fus surpris et mutilé par vos
soldats. Ma femme avec mes enfants a été entraînée
par vos hommes, mon frère blessé et emmené également,
et nos maisons sont incendiéeSi Me trouvant