les anciens titulaires de grands fiefs dont l'es Atsés et
les Polémarques avaient déjà fait des exacteurs en rendant
leur existence précaire. Ces derniers représentants
de la véritable noblesse territoriale indépendante
crurent prolonger leur existence- en se prêtant à leur
propre abaissement. Il y a manière de faire accepter
aux hommes ce qui leur est le moins profitable, et
ces possesseurs de fiefs .inaliénables, de terres libres
à divers degrés, devinrent les courtisans de Gouksa.
Une première année, il maintint le statu quo, en
confirmant les investitures aux titulaires; puis, tous
les ans, sous quelque prétexte, il en dépouilla un
certain nombre, et, à la fin de son règne, il avait
ruiné ou dispersé les grandes familles de ses États,
dépossédé les seigneurs et notables qui lui portaient
ombrage, augmenté considérablement ses revenus,
annulé l’action politique du clergé, rétréci les libertés
des communes, tout en augmentant leurs impôts,
et concentré presque.tous les pouvoirs en ses mains.
Les Polémarques de sa mouvance suivirent son
exemple, ainsi que les^ Polémarques du reste de'
l’Éthiopie, à l’exception, toutefois, de ceux de
l’Agaw-Medir, du Damote et du Gojam. Ces provinces,
gouvernées par des princes cognats de la
famille impériale, conservèrent, en grande partie, les
libertés traditionnelles. Quant à la province de
PIdjou, berceau de la dynastie de Gouksa, chaque fois
que ses maîtres ont voulu attenter à ses franchises,
elle a répondu par des rebellions énergiques, et
c’est jusqu’à ce jour le pays de l’Éthiopie où le
peuple jouit du plus de liberté.^ Presque partout
ailleurs, le sort des populations fut livré à l’arbi-
*traire d’un système féodal mutilé en ce qu’il pouvait
avoir de bon. Les nobles- dépossédés se firent tous
soldats de fortune; les Polémarques mirent de l’émulation
à les retenir à leur service, au moyen de
dignités et -d’investitures annuelles, et ces seigneurs
temporaires exploitent et pressurent aujourd’hui à
ruine les contribuables de leurs fiefs sans avertir
pour eux. La rapacité de ces tyranneaux pousse les
cultivateurs à un désespoir tel, que parfois des
communes entières préfèrent abandonner leurs terres
et émigrer dans les États voisins. A la mort ou à
la chute du Polémarque, ils reprennent leurs héritages,
si le règne de son successeur est plus équitable.
Ceux qui se sentent de l’énergie s’enrôlent dans les
bandes de soldats, préférant à la servitude de la
vie des champs, les f. périls et l’indépendance de la
vie militaire, et dans chaque province, le camp du
Polémarque regorge de soldats turbulents et avides,
vivant gaîment au jour le jour, tandis que les contribuables
des villes, et surtout ceux des campagnes,
vivent furtivement, en proie à toutes les craintes, et
réduits à ruser pour dissimuler même leur pain
quotidien. La puissance des Polémarques est elle-
même précaire : sujets aux retours qu’entraîne la
fréquence des guerres, aux trahisons de leurs alliés,
aux désertions de leurs soldats, peu d’entre eux
peuvent se vanter d’avoir reçu le pouvoir de leur
père, presque aucun n’est assuré de le léguer à son
fils. Quelque soldat de fortune, parti quelquefois des
rangs les plus humbles, recueille son héritage.
Comme on l’a vu, d’après la constitution antique,
le droit de justice n’émanait pas des Atsés; ils
l’exerçaient, il est vrai, mais dans des cas définis et
rares; ils en étaient surtout les gardiens, les dépositaires.
La nation exerçait ce droit elle-même ;
le chef de famille, la commune, les tribunaux im