ordonna de balayer les traînards hors de la ville
haute et donna lui-même l’exemple du départ pour
le camp. Avant mon arrivée sur la place du marché,
il avait déjà tué un autre de ses soldats, qui, les
mains pleines, sortait d’une maison. ,
Birro avait défendu à ses géns de descendre dans
le quartier musulman, et en sévissant comme il .venait
de le faire d’une façon si conforme à la fougue
de son caractère, il ravivait cette terreur qu’il
aimait à inspirer, et il affichait du même coup sa déférence
pour les intentions de son suzerain Ali, .qui
protégeait les musulmans de Gondar d’une façon
spéciale. Nous sortions à peine du Salamgué, qu’un
musulman, traînant après lui un jeune soldat, arrêta
le Prince par ses cris.
— Parle donc, lui dit Birro.
Le musulman accusa le soldat d’avoir pillé sa
maison de fond en comble et d’avoir maltraité sa
femme.
— Holà! qu’on lui coupe pieds et mains, dit
Birro.
■ — Par Allah! mon Seigneur, dit le plaignant,
que ferais-je de ses membres? Qu’il les garde pour
s’en aller le plus loin possible, mais qu’il me rende
ce qu’i l ’m’a pris.
Le soldat terrifié protesta par serment qu’il n’avait
pris qu’une vieille ceinture, et qu’encore, un
de ses camarades la lui avait enlevée sur le champ;
il offrait d’ailleurs de donner celle qu’il portait. Birro
lui dit en se remettant en marche : -
— Roncin que tu es ! s’il en est ainsi, que ne lui
frottes-tu les oreilles à ce mécréant?
Et il laissa le musulman composer comme il put
avec le soldat.
• Cependant il me tardait d’aller au-devant de mon
frère, et le Dedjadj Birro remettait de jour en jour de
me donner mon congé, lorsqu’il conclut avec le Dedjadj
Oubié une alliance secrète, dont le but était de
^ marcher prochainement contre le Ras Ali, leur suzerain
commun. Je représentai à Birro que cette
circonstance me permettrait d’aller et de revenir de
Moussawa avec promptitude et commodité, puisque
le Dedjadj Oubié tenait tout le pays depuis Gondar,
jusqu’à la mer Rouge.
Après beaucoup d’objections, il consentit à mon
départ, et afin, disait-il, que je pusse figurer convenablement
à la cour de son allié, il voulut me
donner un bouclier richement garni en vermeil, un
fort beau sabre et une belle mule caparaçonnée comme
la sienne. Je refusai ces présents, et il en prit de
l’humeur :
Celui qui reçoit s’engage, me dit-il; tu veux
partir sans pensée de retour.
Enfin, après beaucoup d’instances, il m’accorda
■ deux mois pour faire mon voyage, en me recommandant
toutefois de me joindre à l’armée d’Oubié,
-si avant cette époque cet allié opérait sa jonction
avec lui pour marcher contre le Ras.
— Car, si Dieu le permet, dit-il, nous ferons parler
de nous grandement. Mais avant de nous séparer,
je veux que nous nous engagions, par serments
réciproques, toi à revenir, moi à te traiter
toujours comme un frère.
Malgré ma répugnanoe à me lier de cette façon,
je crus devoir céder.
— Je ne sais, me dit-il, quelles sont les formules
de serment usitées dans ton pays, mais que
m’importe ! tout serment recèle le principe vengeur