du mois de Meuskeurrum, correspondant aux derniers
jours de notre mois de septembre. Pendant la
crue, les communications entre le Tigrate et l’A-
mhara ne sont entretenues qu’à de longs' intervalles
par quelques messagers, excellents nageurs, qui malgré
leur expérience, sont souvent entraînés par les
crocodiles ou emportés par les eaux. La dernière caravane
de la saison quitte Gondar pour Moussawa, de
façon à arriver au Takkazé au plus tard le 19 juin ;
il ne me restait donc que quelques jours à jouir de
la compagnie de mon frère.
Le Lik Àtskou nous présenta à l’Atsé. ou empereur;
il nous présenta également à lTtchagué ou chef
de tout le clergé régulier de l’ancien Empire, ainsi
qu’à quelques notables de Gondar.
Depuis quelque temps, le vice-roi d’Ëgypte, Méhé-
met-Ali, s’étant épris de l’idée de conquérir des mines
d’or, ses pachas gouverneurs du Sennaar et des provinces
environnantes, s’évertuaient à faire des expéditions
contre les peuplades voisines. Ils ne découvraient
pas de mines, mais ils se procuraient de l’or
en ramenant des milliers de prisonniers qu’ils vendaient
comme esclaves ou qu’ils incorporaient dans
leurs régiments. Une de ces expéditions, dirigée contre
la riche province de Dambya, voisine de Gondar, fut
repoussée par le Dedjadj Conefo, gouverneur de ce
pays au nom du Ras-Ali. Les Égyptiens, dit-on, perdirent
dans la bataille 700 hommes de troupe régulière
et un plus grand nombre d’irréguliers. Méhé-
met-Ali comptait venger cet échec, et, à l’époque de
notre entrée dans le pays, il se formait au Sennaar
un nouveau corps expéditionnaire qui devait s’emparer
de Gondar. Les princes de l’Éfhiopie chrétienne
auraient aisément pu repousser l’invasion ; mais la
désunion était parmi eux, et les populations achevaient
de se décourager aux bruits avant-coureurs
des ennemis et de leurs engins de guerre dont on
exagérait les effets redoutables. A Gondar et dans les
provinces, on ne s’entretenait que de ces choses, ce
qui contribua à donner du retentissement à notre
arrivée dans la capitale. L’Atsé, lTtchagué, les notables,
apprenant que mon frère retournait en France,
décidèrent, en assemblée, d’en profiter pour faire un
appel aux puissances chrétiennes de l’Europe. En con- •
séquence, ils lui donnèrent deux lettres écrites au
nom de la nation, l’une pour le roi de France, l’autre
pour la reine d’Angleterre, et le supplièrent de ne
rien négliger pour accomplir promptement sa mission,
de laquelle dépendait, disaient-ils, le salut des
chrétiens ff’Éthiopie.
Avant de nous séparer, nous convînmes, mon frère
et moi, de nous rejoindre, à un an de là, dans l’île
de Moussawa ; et il partit pour le Tigraïe avec une
petite caravane, la dernière de la saison.
Dans mon inexpérience, douze mois me paraissaient
plus que suffisants pour aller planter un guidon
aux couleurs françaises sur un des pics des
montagnes de la Lune, ou du moins pour atteindre
aux régions où l’on place ordinairement ces monta
g n e s ; mais je comptais sans les obstacles que le
voyageur rencontre dans cette partie de l’Afrique.
Il n’a pas, il est vrai, à affronter ces vastes déserts
qui, dans d’autres régions de ce continent, forment
des barrières si pénibles à franchir; les pays
qu’il traverse sont presque partout fertiles et peuplés,
mais 'la diversité des races, des religions, des langues,
des moeurs, la multiplicité des rois, des princes et des
petits despotes, les intérêts, les jalousies, les haines