la Waïzoro Oubdar en campagne. Il la faisait précéder
par ses timbaliers, son parasol et son gonfanon,
ses fusiliers et ses porte-glaives, contraignait ses
seigneurs et cavaliers de marque à former son escorte,
et ses bandes de rondeliers d’élite à la suivre, cente-
niers et joueurs de flûte en tête. Le Ras lui-même
ne marchait pas avec tant d’apparat. Quant à lui, accompagné
seulement de quelques cavaliers, il allait
se confondre dans l’escorte de sa belle-mère, afin,
disait-il, d’être plus à portée de ses ordres. Si épris
qu’il pût être de la Waïzoro Oubdar, les sentiments
qu’il affichait étaient tellement’ ridicules par leur
exagération, que ses beaux-frères, les seigneurs et
même les soldats en faisaient des gorges chaudes;
seule, la Waïzoro Manann, insensible aux quolibets,
trouvait naturelle la conduite de son gendre, qu’elle
affectionnait d’autant plus et défendait en toute occasion.
Fort de cet appui, il était d’une arrogance
insoutenable envers les grands vassaux. L’un d’eux,
le Dedjadj Wollé, proche parent du Ras, ayant fait
une allusion railleuse à sa naissance équivoque, il en
résulta une altercation des plus vives. Les soldats
épousèrent naturellement là querelle de leurs maîtres,
et deux bandes se rencontrant un jour de marche,
passèrent bientôt des injures aux coups de sabre;
le vertige se communiqua comme par une traînée
de poudre, et 12 à 14,000 hommes des deux partis^ se
trouvèrent aux prises le long de la ligne de marche.
Le Ras envoya des bandes pour étouffer le combat :
elles furent culbutées et en partie dépouillées ; puis on
se battit jusqu’aux approches de la nuit. Birro Aligaz,
prévenu par ses espions, accourut avec sa cavalerie,
mais un peu trop tard pour profiter de ce désordre
qui eût pu occasionner la perte du Ras. Le nombre
de morts et de blessés était considérable. Le Dedjadj
Wollé, ainsi que plusieurs hauts seigneurs dont les
gens avaient été le plus maltraités, intentèrent une
action en cour du Ras. La Waïzoro Manann trouva
moyen de les faire débouter, et, comme pour justifier
sa partialité, quelques jours après, son gendre,
détaché avec d’autres chefs, à la poursuite de Birro
Aligaz, parvint, grâce à la témérité de ses soldats,
à s’emparer du rebelle, et il eut l’honneur de le remettre
aux mains du Ras.
L’heureux Fit-worari récompensa avec prodigalité
et ostentation ceux de ses soldats qui s’étaient distingués
dans ce combat, et, du même coup, ceux qui
s’étaient signalés contre les gens du Dedjadj Wollé,
ce qui ameuta de nouveau ses ennemis. Il ne parlait
qu’avec emphase de son seigneur le Ras, le plus doux
des suzerains, disait-il, mais le plus mal servi par ses
grands vassaux. Sévère et hautain envers ces derniers,
il se montrait caressant envers leurs soldats
dont il devint l’idole. Les familiers du Ras, eux,
l’avaient pris pour but de leurs médisances; seul, le
Ras paraissait faire bon marché de lui et l’appelait
toujours le dadais. Birro, du reste, affectait des incohérences
de caractère et de maintien faites pour
fourvoyer l’opinion publique et le jugement de son
suzerain sur lui : un jour, plein d’attentions courtoises
et de gaieté, leTendemain, distrait, irritable, taciturne;
tantôt il se présentait attiffé et les vêtements parfumés
comme une femme, tantôt, culotté inégalement,
il se balançait en marchant, laissait traîner un pan
de sa toge, pendiller un bout de sa ceinture, ou ballotter
gauchement son sabre à son flanc.
La campagne terminée, on rentra à Dabra Tabor.
Birro Guoscho demanda son congé, mais le Ras l’ajour