les yeux | j donnent au paysage une richesse et une
variété qui en font comme un jardin sans bornes.
climat sain, égal et tempéré, la fertilité du sol,
la beauté des habitants, la sécurité dans laquelle
leurs demeures semblent assises, font rêver de s’arrêter
en si beau pays. Souvent, durant nos mar-
.ches, on voyait un soldat fatigué quitter son rang,
s’affaisser jusqu’à terre en glissant le long de fa
hampe de sa javeline et dire, en contemplant le site:
Hein, vous autres ! quel dommage que cette terre
ne soit pas chrétienne! comme on y attendrait bien
la fin de ses jours!
Hous apprîmes par des prisonniers que les ffaj-
las du deuga, supposant que nous prolongerions
notre séjour chez eux, avaient convoqué leurs compatriotes
des districts éloignés, pour nous attaquer Je
lendemain avec des forces considérables, consistant
surtout en cavalerie. Le Dedjazmatch transporta immédiatement
son camp sur un premier versant de
la descente de woïna-deuga, où le terrain étroit,
courant entre un immense ravin, presque à pic'
d’une longueur d’environ cinq milles, et la berge
du deuga, haute d’environ huit ■ cents mètres,
nous mettaient à l’abri de la cavalerie ennemie, Le
soir, il prévint par ban l’armée de se tenir prête à
se remettre en marche au petit jour.
Dès que notre arrière-garde évacuait nos campements,
les Dallas, qui nous épiaient toujours, y entraient
par petits groupes. J ’éprouvai le désir d’en
profiter pour les voir de plus près. Comme d’habitude,
le Prince, en sortant à mule de sa tente, me
donna le bonjour et m’invita du geste à le suivre,
Mais je le laissai partir. L’armée s’écoula, et pour
me soustraire aux perquisitions que l’arrière-garde
faisait dans le camp avant de le quitter, je me retirai
derrière un grand rocher avec quatre de pies hommes :
l’un conduisait mon cheval, plus embarrassant qu’utile
; l’autre portait ma carabine; le troisième, mon
boucljer et nia javeline; mon drogman, un peu à
contre-coeur, faisait le quatrième, Aux timbales, aux
trompettes, aux flûtes, aux cris, à tout le vacarme
de févacuatiop, succéda un lourd silence, interrompu
seulement par les oiseaux encore mal rassurés
, qui, d’intervalle en intervalle, s’encoura-
geaiept timidement à reprendre leurs chants du
matin. Quoique nous ne pussions rien découvrir,
un instinct, qui depuis m’a souvent servi dans des
circonstances analogues, m’avertissait que le terrain
devenait de plus en plus hostile. Soudain, nous
entendîmes le cri galla : Hallelle! hallelle! signifiant
: Frappe! tue! et nous vîmes trois hommes
fuyant entre les huttes et serrés de près par douze
ou quatorze Dallas. Au même instant sortirent d’une
embuscade des cavaliers qu’à leurs housses rouges
nous reconnûmes pour des nôtres. A leur vue, les
Dallas se détournèrent pour gagner le grand ravin.
Nous .essayâmes les uns et les autres de leur couper
la retraite, mais ils avaient trop d’avance. Arrivé
un des premiers sur le bord, je pus les voir dévaler
en bondissant comme des chamois sur les' blocs
éboulés qui hérissaient la berge; ils s’arrêtèrent à
une portée de fusil et nous crièrent des injures.
Nos gens de l’embuscade nous rejoignirent. C’était
un chalaka ou chef de millier nommé Beutto qui,
avec une vingtaine de cavaliers, avait voulu, courir
aventure ; il me sauta au cou en riant aux éclats et
me reprocha de ne lui avoir pas communiqué mon
dessein.