inspirait à la fois la crainto et l’affection tant dans
son intérieur qu’au dehors. Vive quelquefois jusqu’à
l’emportement, elle prévenait les rancunes en reconnaissant
ses torts avec une rare facilité. L injustice
la révoltait, mais son mari avait eu à lutter longtemps
pour l’empêcher de s’immiscer plus que de
raison dans les affaires de son gouvernement, Elle
avait le teint d’une Espagnole brune, le front haut,
large, uni, la chevelure fort belle et de grands yeux
expressifs ; la pureté de ses traits, une certaine ampleur
dans les formes, la distinction de son langage, de ses
manières et sa politesse toujours aisée formaient un
ensemble parfaitement en rapport avec le haut rang
qu’elle occupait.
J’avais accueilli avec joie la perspective d’une
nouvelle campagne, mais la façon dont la Waïzoro
l’envisageait me communiqua quelques-unes de ses
appréhensions.
— L’âme de Gonefo, disait-elle, n’a pas été rappelée
depuis si longtemps, que Dieu ne lui permette
de Veiller encore sur ses deux orphelins, qui n’ont
pas eu le temps de devenir coupables. Aussi, que
nous soyons vainqueurs ou vaincus, je ne cesserai
de redouter les suites de cette guerre. Mais on prétend
que nous autres femmes nous n’entendons rien
à la conduite des affaires.
Ayant tenté vainement de dissuader son mari de
faire cette campagne, elle avait provoqué l’interven--
tion d’anachorètes vénérés : deux d’entre eux étaient
venus à Goudara, mais le Prince s’était montré respectueusement
sourd à leurs conseils.
Ces religieux, dont j’ai déjà parlé, ne quittent
leurs solitudes qu’à l’occasion d’événements graves ou
pour détourner les puissants ou ceux auxquels ils
s’intéressent d’une conduite qui leur paraît contraire
à la morale chrétienne; ils s’arrangent pour arriver
et repartir de nuit et accomplir mystérieusement
leur mission. Plusieurs sont fatuaires de bonne foi et
puisent leurs conseils dans des visions ou des extases ;
d’autres sont d’anciens hommes de guerre, des chefs
célèbres retirés depuis longtemps dans les solitudes
et lorsqu’ils reparaissent dans le monde, ils ne s’autorisent
que de leur âge, de leur expérience, de leur
détachement et de- leur charité pour leurs semblables;
les uns et les autres sont fort écoutés, car
leurs conseils, leurs prévisions et même leurs prophéties
se vérifient souvent d’une façon surprenante.
Lorsque je quittai la Waïzoro, elle fit venir son
aumônier pour qu’il me bénît; elle m’appela son
fils et elle reçut mes adieux comme une bonne
mère.