était de s’en faire des alliés contre le Ras, leur
inexpérience, leur ambition et l’instabilité de leur
conseil les rendaient trop accessibles à J’offre, que
le Ras ne manquerait pas de leur faire, de les confirmer
dans l’investiture de leur père, à condition
qu’ils déserteraient leur tuteur. Enfin, cette considération
que l’opinion publique s’était prononcée en
faveur des fils du Dedjadj Conefo, ne devait pas
arrêter cette fois : quelque respectable que fût l’opinion
publique, il ne fallait pas oublier qu’elle errait souvent,
que les affaires étaient presque toujours dirigées
par des minorités, et qu’en cette circonstance
du reste, l’expérience, la raison et une conscience
éclairée ne pouvaient dicter d’autre conseil que le
leur.
Le Prince balança quelques jours entre les deux
partis à prendre. De tous côtés lui vinrent des
avis dans l’un et l’autre sens, car le Damote et le
Gojam s’étaient passionnés sur cette question; de
plus, les chefs de l’Agaw-Médir, qui depuis la mort
de Conefo, semblaient vouloir se rallier à lui, lui
transmettaient également leurs avis. De son côté,
Birro lui expédiait messager sur messager pour le
prémunir contre les donneurs de conseils. En dehors
de toute ambition personnelle, disait-il, il ne pouvait
comprendre qu’on hésitât à accepter la nouvelle
investiture, ne fût-ce que pour empêcher les
malveillants d’insinuer que la crainte de l’armée de
Conefo influait sur ieur décision; il y allait de la
gloire de son père, de la réputation de leur maison;
il lui demandait de lui confier seulement la
moitié de son armée, et il ferait obéir lima de
gré ou de force. Ali nous tend des pièges, ajoutait-
il, à nous d’avancer et de les rompre. Quant à moi,
je me garderai si bien en Dambya que toutes ses
perfidies tourneront à sa confusion.
Le Dedjadj Guoscho se décida à annoncer aux fils
de Conefo la nécessité où il se trouvait d’accepter
pour Birro l’investiture de leurs provinces, et il leur
fit en même temps les propositions les plus caressantes.
Leur conseil et leur armée répondirent par
un seul cri de défi, et il se décida à prendre immédiatement
la campagne.
Le même soir, il me dit :
— Nous allons probablement avoir une grosse
bataille à livrer près de Gondar.
— Que Dieu vous y vienne en aide! lui répondis
je.
—• Pourquoi m’isoles-tu dans un voeu pareil?
Compterais-tu rester en arrière?
Je lui demandai en riant si j’étais son lige, pour
mettre mon corps dans toutes ses entreprises.
— Tu es pour moi mieux que vassal et lige; un
lien de Dieu s’est fait entre nous, et si j’en croyais
le désir que j’ai de te complaire, c’est toi qui serais
mon suzerain. Mais tu ne songes pas, j’imagine, à
me quitter un jour de combat?
Non, certes, Monseigneur, lui répondis-je.
En effet, mes sympathies pour ce Prince s’étaient
confirmées de plus en plus. Depuis que je m’exprimais
en amarigna, par courtoisie et pour me conformer
aux usages, je l’appelais Monseigneur; je
m’aperçus bientôt que ce titre n’était pas un mot
vain dans ma bouche et qu’il signifiait en réalité que
j’étais arrivé insensiblement à l’aimer assez pour
désirer me lier à sa fortune. Sans avoir renoncé à
mon pays, je jugeais que la rude vie que je m’essayais
à mener me donnerait quelques résultats utiles,