le Takkazé. A l’Ouest le plateau élevé du Wogara,
où mes hommes m’attendaient sans doute avec mon
cheval et les -bagages de mon frère, à une petite
journée seulement de Gondar; au-delà mon imagination
entrevoyait le Dambya, le Gojam, le Dedjadj
Guoscho, dont j’étais si assuré de recevoir bon
accueil. Nous tînmes conseil, mon frère et moi, sur
la direction à prendre : je voulais aller à Gondar;
dans sa sollicitude pour moi, il s’y opposa, et nous
rebroussâmes chemin vers Adwa. Je désignai un
homme de confiance pour aller dire à mes gens en
Wogara de s’en retourner avec mon cheval et les bagages;
et ce fidèle messager, qui pouvait s’enrichir en |
me trahissant, rajusta ses armes, nous dit adieu, s’engagea
dans la descente précipitueuse et sans route,
et disparut bientôt dans la direction de Wogara.
A ce moment je me sentis comme frappé d’exil, et
je pris tristement le sentier qui devait nous con - .
duire au Takkazé.
Après avoir essuyé pendant la soirée une de ces
averses torrentielles qui précèdent, dans les pays élevés
du Samen, la saison des pluies, nous arrivâmes à
la nuit à un village où déjà, en venant, on nous avait
refusé le vivre, malgré les ordres du soldat que le
Dedjadj Oubié avait envoyé pour nous faire héberger
durant le voyage. Comme si nous jouissions encore
de la faveur du Prince, nous nous présentâmes, et
l’hospitalité nous fut offerte avec un empressement
dû sans doute en grande partie à l’aspect de notre
équipage ruisselant de pluie. Nous repartîmes à la
pointe du jour, et, trouvant ça et là à souper, nous
arrivâmes à Adwa, après avoir été rejoints par mon
fidèle messager avec tes bagages et mon cheval, que
je craignais de ne plus revoir, car si ma disgrâce se
fût ébruitée, le premier venu aurait pu s’en em--
parer impunément.
Nous avions appris en route que la guerre commençait
entre le Ras, d’une part', et le Dedjadj Guoscho
et son fils Birro, de l’autre. Ce dernier avait
abandonné son gouvernement du Dambya et était
rentré en Gojam, d’où, aidé par son père, il avait
chassé les vassaux du Ras, lequel, s’étant assuré la
neutralité d’Oubié, marchait contre le Gojam. Ces
nouvelles me confirmèrent dans ma résolution de tout
tenter pour accomplir ma promesse de retourner auprès
du Dedjadj Birro et de son père. De son côté,
mon frère désirant continuer son voyage d exploration,
nous arrêtâmes de gagner Gondar en tournant
les États d’Oubié, ! soit par le pays de Harar et le
Chawa, où j’étais assuré d’être bien reçu par suite
de mes relations avec Sahala Sillassé, gouverneur
héréditaire du pays, soit encore | par le Sennaar.
Mon frère, sous la conduite d’Ezzeraïe, partit
immédiatement pour Moussawa avec ses bagages.
Quant à moi, quelque raison que j’eusse de sortir
au plus tôt des États d’Oubié, je dus rester à Adwa
pour ne point me séparer de mon cheval, que ses
- sales échauffées par sa, longue marche dans le bas
pays rendaient incapable de se remettre en route. Les
chevaux ne sont pas ferrés, ce qui leur est très-avantageux
sous quelques rapports, mais les expose, dans les
Kouallas surtout,, à la sole battue qu’un repos absolu
peut seul guérir. Des amis m’ayant dit qu’on parlait de
m’enlever mon chevai, nous nous gardâmes de nuit et
de jour de façon à décourager les malveillants.
A Adwa, je retrouvai Jean, qui n’était pas encore
parti, et je pus jouir de la société des missionnaires
catholiques récemmênt arrivés.