se levait pour le recevoir. La ville respectait ses moindres
volontés ; les pauvres l’appelaient le généreux, les
ulémas de toutes les mosquées l’appelaient le magnifique
; Kadis et Muftis écoutaient ses conseils ; et dans
toutes les .villes, les poêles, chantaient sa louange, Il ne
se promenait que dans ses vastes jardins. Il avait des
fleurs en toute saison, des sources abondantes, beaucoup
d’ombre, et il était toujours en santé. On le
nommait Hadji Marzawane. Assis un jour dans son
divan, il songeait, lorsqu’un serpent parut en criant :
— Protection, protection, au nom d’Allah !
— Au nom d’Allah et du prophète, je te donne ma
protection, dit Marzawane. Mais d’où viens-tu? qui
es-tu ?
Je suis poursuivi par les soldats de Sa Hautesse;
ils vont arriver. Cache-moi.
Marzawane lui dit de se blottir derrière les coussins
de son divan.
— Non, dit le serpent, on m’a vu entrer ici, etfussé-je
enroulé dans les cheveux de ta favorite, mes ennemis
m’y découvriraient. Ecoute; les voilà qui approchent.
Si tu ne veux offenser Allah et son prophète, tu n’as
qu’un moyen : Ouvre ta bouche, que je me cache dans
ta poitrine.
* Marzawane recula d’horfeur ; mais la voix des
soldats montait de plus en plus.
— Soit, dit-il, puisque tu es venu au nom du Miséricordieux
!
Le serpent disparaissait dans la gorge de son hôte,
lorsque ses poursuivants entrèrent en criant :
Où est le traître ? Malheur à ceux qui couvrent
l’ennemi du Sultan !
Marzawane leur dit que l’ennemi du Padichah était
le sien; que sa maison était vaste, qu’on pouvait s’y
introduire inaperçu, et qu’ils n’avaient qu’à la visiter
en tous sens.
Les soldats fouillèrent partout; ils exigèrent même
de pénétrer dans le harem interdit, et c’est à peine
s’ils respectèrent les voiles des femmés. Attérés d’avoir
humilié ainsi sans profit cet homme puissant, ils se
jetèrent à ses pieds, baisèrent le pan de son caftan en
lui demandant grâce, et ils se retirèrent pénétrés de
sa générosité.
Marzawane dit alors au serpent :
— Sois sans crainte désormais. Sors; tu gênes les
battements de mon coeur. *
Mais du fond de cet1;e poitrine de juste, le serpent
répondit :
— Il me faut une bouchée de ton coeur ou de ton
poumon; choisis. Je ne sortirai qiTà ce prix.
Et comme Marzawane lui reprochait son ingratitude
:
— Homme naïf! dit le maudit, puis-je .contrevenir
à ma nature? serpent je suis, en Serpent je dois agir.
C’est encore beaucoup que je te donne, le choix.
<— Amen ! dit Marzawane ; tu auras le meilleur de
ma chair. Accorde-moi seulemenfcomme grâce dernière
de me laisser disposer les choses de façon à donner à
ma mort l’apparence d’un accident, afin qu’on ne
dise point qu’après avoir accordé sa protection au
nom d’Allah et du prophète, Marzawane mourut sous
la dent de son protégé. Les hommes s’autoriseraient
peut-être d’une telle fin pour refuser à l’avenir l’hospitalité.
Et Marzawane ordonna à un esclave d’étendre
au pied d’un arbre son tapis de prières, d’approcher
l’eau pour les ablutions préparatoires ; puis il alla regarder
son dernier né, et, frissonnant à la pensée