qui a contribué à sauvegarder, pour un temps du
moins, l’intégrité de ce pays chrétien, déplut néanmoins
au Dedjadj Oubié, qui aurait voulu être le
seul prince éthiopien à entrer en relations avec une
puissance européenne.
Lorsque, après mon séjour auprès des Dedjazmatchs
Guoscho et Birro, séjour qui m’avait donné une certaine
notoriété dans le pays, je m’arrêtai en Tegraïe,
en allant à Moussawa au devant de mon frère, je ne
me montrai pas assez bon courtisan à la cour du
Dedjadj Oubié, et ce qui, dans d’autres circonstances
m’eût été propice, le tourna encore contre moi. Ma
connaissance des moeurs du pays était suffisante pour
apprécier la légèreté avec laquelle les gens de la maison
de ce prince traitaient tout Européen, et ma réserve
même lui fut présentée dans un sens hostile, lorsque
ses gens eurent découvert que leur maître était moins
bien porté pour moi. De plus, la réception que j’avais
trouvée auprès du Dedjadj Guoscho et du Ras Ali
lui faisait désirer, à ce que me dit le religieux et
comme cela me fut confirmé depuis, que je m’attachasse
à son service, Il n’est pas surprenant que
des dispositions de cette nature dussent s’envenimer au
moindre prétexte, à la moindre maladresse de ma
part.
Pendant mon séjour auprès du Dedjadj Guoscho,
le Dedjadj Kassa avait été vaincu -et pris par le
Dedjadj Oubié. Le vainqueur n’avait voulu voir dans
Coffin qu’un agent de l’Angleterre, et l’avait fait
mettre aux fers jusqu’à ce qu’il lui eût livré ce qui
restait à Moussawa des fusils envoyés à la famille
de Sabagadis. Depuis cette défaite de Kassa, le Dedjadj
Oubié devait s’intéresser d’autant plus aux rapports
de son pays avec des puissances étrangères,
que son pouvoir s’étendait désormais depuis Gondar
jusqu’à la mer Rouge.
Lorsque peu après nous nous présentâmes devant
lui à Maïe-Tahalo, c’était encore pour aller à Gondar.
Mon frère revenait d’Europe, et le Dedjazmatch supposait
qu’il rapportait la réponse aux messages dont
il s’était chargé. Si nous avions été au courant des
dispositions du Dedjazmatch contre nous, nous aurions
pu peut-être prévenir sa mauvaise ’humeur, en
allant au-devant de sa pensée, et en lui disant que
mon. frère avait remis les lettres des notables gon-
dariens aux chefs des gouvernements de France et
d’Angleterre, lesquels avaient immédiatement arrêté
l’agression imminente du vice-roi d’Égypte, mais
qu’il n’était porteur d’aucun message en réponse.
Nous n’en fîmes même pas mention. Pour toutes ces
causes, il est probable que le Dedjazmatch aurait
empêché notre second voyage à Gondar; seulement
il l’aurait fait avec des formes moins indignes de
son rang, si, par dernière mésaventure, nous ne fussions
arrivés à Maïe-Tahalo un matin qu’il avait pris
d’un hydromel trop capiteux. Car, quelque peu de
sympathie que j’aie pu sentir pour le Dedjadj Oubié,
je dois reconnaître qu’il usait presque toujours de
formes courtoises.
En me mettant au courant des raisons de ma disgrâce,
le bon religieux, qui désirait me voir retourner
en Gojam, m’avait, conseillé fortement d’accepter la
réconciliation qui m’était offerte, en ajoutant que les
événements politiques ne manqueraient pas de m’ouvrir
une issue vers Gondar. Mais je dus renoncer,
jusqu’au jour où je saurais ce qu’était devenu mon
frère, à profiter des nouvelles dispositions du Dedjadj
Oubié.