niers sans toucher à leurs vêtements, à leurs montures
et même à leurs armes. D’un autre côté, si ces
jours mettent souvent en lumière de nobles sentiments,
quelques hommes de guerre de tous les rangs
usent brutalement et dans toute leur étendue des
droits du plus fort.
Nos prisonniers, dont le nombre dépassait 30,000,
ayant pris la permission de leurs capteurs, circulaient
librement dans le camp, se cherchaient entre eux,
se racontaient leurs aventures ou causaient familièrement
avec les nôtres, qui, de leur côté, se montraient
pleins d’égards. L’ignorance où les hommes
.vivent les uns des autres fait, le plus souvent les
premiers frais de leur hostilité. Il n’est tel que de
pratiquer les gens, de s’entre-mesurer : toute science
conduit à quelque forme de l’amour.
Nous nous fîmes raconter par les prisonniers ce
qui s’était passé chez eux avant la bataille. Sachant
que nous étions campés près de Konzoula, avec l’intention
de les attaquer le samedi, ils s’.étaient imaginé
que le choix de ce jour dépendait de quelque
incantation dont j’étais l’auteur,' et, pour tâcher de
nous surprendre et de contrecarrer mes maléfices, ils
avaient résolu au dernier moment de nous livrer bataille
le vendredi. A cet effet, ils s’étaient portés à
Konzoula, comptant y laisser leurs bagages et nous
assaillir avec toutes leurs forces. Enorgueillis du reste
par leur supériorité numérique et le prestige militaire
qu’ils exerçaient, ils n’avaient pas douté de là victoire.
Leur irritation contre nous était telle, qu’ils étaient
convenus de ne faire quartier qu’à un petit nombre,
et, dans ce but, ils avaient mis un signe distinctif à
leurs fourreaux de sabre, afin de se reconnaître plus
sûrement-dans la mêlée. Surpris autant que. nous
de nous rencontrer a Konzoula, ils fuient obliges
d’accepter le combat avant 1 arrivée de leur arrière-
garde, forte de 4,000 hommes.
Les prisonniers nous donnèrent également la raison
de l’empressement extraordinaire que, depuis la
veille, ils mettaient à me voir. Je passais à leurs
yeux pour un. magicien sans pareil : mes sortilèges
avaient suspendu la crue de l’Abbaïe lors de notre
retour de chez les Dallas; le pleur commencé lors
de la maladie de la Waïzoro Sahalou, et dispersé
par mon ordre, faisait dire aux nouvellistes que,
revenant de la-chasse au sanglier quand on portait
la princesse en terre, j’avais arrêté le convoi et
ressuscité la morte ; c’était moi enfin qui avais déterminé
Monseigneur à accepter l’investiture du Dam-
bya, en consultant la clavicule de Salomon, et en
garantissant la victoire au moyen de mes manoeuvres
cacodémonologiques.' Le Lidj lima ayant promis une
grosse récompense à qui le déferait de moi, plusieurs
fusiliers et cavaliers de renom s étaient chargés
publiquement de. le - satisfaire : entre autres un
centenier des fusiliers de sa garde, qui déjouerait,
disait-il, tous mes maléfices, en faisant le signe de
la croix sur la balle qu’il mettrait dans son infaillible
carabine;> et il s’engageait, s’il me manquait,
à revêtir, un jour de festin, la tunique dune servante
de cuisine et à porter un plat sur la table
de son maître. Ma bonne fortune m’avait fait rencontrer
ce centenier à la fin de la mêlée; au moment
où un des nôtres allait l’achever d’un second
coup de sabre; j’avais jeté mon cheval entre les
deux et contraint notre soldat à l’emmener prisonnier.
Il devint un de mes clients les plus assidus,
et je le fis placer honorablement dans la maison de