prendre, on pourrait attribuer, en partie du moins,
à tous ces contrastes dans les hommes et dans les
choses, l’ardent amour de l’Éthiopien pour sa patrie.
En Ethiopie, le paysage est étrange, grandiose,
saisissant ; l’oeil habitué aux transitions ménagées
de nos paysages est surpris tout d’abord par les
mouvements du terrain, qui procède comme par
acoups et par convulsions soudaines. En Europe,
les paysages ont l’air d’être au repos; là, dans
leur immobilité même, on sent gronder l’action, la
lutte antédiluvienne de la matière contre la matière;
l’homme se sent rapetissé, mais sa pensée
grandit de tout l’élan que lui donne ce spectacle,
qui la reporte invinciblement aux pieds' du Créateur,
aux ordres duquel cette matière s’est figée
dans son dernier mouvement. Le terrain facile
et onduleux se dérobe subitement jusqu’à une profondeur
qui donne le vertige, ou, se dressant abrup-
tement, semble vouloir porter dans le ciel quelque
haut plateau aventureux. Là, un culbutis de rochers,
de blocs erratiques, d’aiguilles, de contreforts,
de crêtes désordonnées, de cônes tronqués, de pics,
de masses cubiques, quelques hameaux accroupis
sur des ressauts, et, couchée tout au fond, une
grande vallée blanchissante sous un ciel en feu et
dessinée par les précipices. Ici, un haut plateau, de
vastes plaines faciles et verdissantes, des bouquets
d’arbres et des villages blottis paresseusetnent sous
un ciel toujours pur et limpide; à l’horizon, des
montagnes aux flancs veloutés bleuissant comme
la mer dans le lointain. Là, le baret des éléphants,
les rauquements de la panthère, la voix
tonnante du lion et les cris de l’orfraie ou un silençe
plus imposant encore, la fatigue, la soif, l’isolement.
Ici, sur les deugas, la clochette des troupeaux,
le bêlement des agneaux, des compagnies
de gazelles, passant discrètes et gracieuses, ou les
hennissements du cheval, rappelant l’homme de
guerre ; partout l’aisance et la quiétude. Tantôt
on voit dans la campagne une troupe de cavaliers
aux boucliers, aux harnais étincelants, aux allures
pittoresques, insouciantes; ils ont Pair de gais et
faciles compagnons et ne vivent que de rapines, lorsqu’ils
ne vivent pas en courtisans inoffensifs; ou
bien, une bande dg fantassins, au pied léger, qui
vont pêle-mêle comme une traînée de fourmis : les
scintillements de leurs hautes javelines planent au-
dessus d’eux, leurs toges terreuses sont drapées en
chlamides, leurs jambes sont fines et nues, leur
chevelure longue, leurs boucliers- noirs; ils plaisantent,
ils s’interpellent, ils rient; leur regard avide,
audacieux, recèle toutes les violences. Des femmes
surviennent : ils se rangent avec bienveillance, leur
disent : « Ma soeur, )> et leur font des compliments au
passage ; d’autres arrivent : ils les goguenardent et
les dépouillent; ils rencontrent un religieux ileur
agrée-t-il? Ils l’appellent : « Notre père, » et lui demandent
de bénir leurs armes ; plus loin, ils en
trouvent un autre, le toisent, le gouaillent et le
dépouillent; ils se conduisent un jour en redresseurs
de' torts ; le lendemain, sans provocation, ils feront
le sac d’un village ; natures aventurières avant tout,
un mot les excite, une bonne parole les concilie.
Ailleurs, apparaît à mule, une femme tout enveloppée
de sa toge : on ne voit d’elle que ses grands
et beaux yeux; des suivants à pied-l’entourent et
pressent la marche, tant ils craignent la rencontre