faisait espérer, si je continuais à vivre -à sa cour,
de pouvoir faciliter et rendre moins périlleuses les
explorations que pourrait tenter mon frère chez les
Gallas, au cas où ses renseignements ultérieurs le
confirmeraient dans la croyance que les eaux qui
arrosent leur pays contribuaient. à former le Nil
Blanc. Le Dedjadj Guoscho était en relations d’amitié
avec le roi de l’Innarya, et son influence s’étendait
sur les peuples gallas intermédiaires. Ces considérations
me déterminèrent à me dévouer sans réserve
à la vie nouvelle que je menais en Gojam.
A ma première indifférence pour les populations
chrétiennes de l’Éthiopie avait succédé cet intérêt
affectueux qu’il est nécessaire de ressentir pour comprendre
les hommes. Protégé, comme je l’étais, par le
Prince, je n’éveillais aucune convoitise; ma qualité
d’étranger excluait toute défiance à mon égard; les
sujets du Prince n’avaient encore aucun intérêt à se
déguiser à mes yeux, et j’entrevoyais un vaste champ
d’observations dans cette société si peu connue. Mais
il me manquait encore une condition nécessaire pour
juger impartialement : c’était de m’affranchir de quelques
préjuges d’Europe, de ces habitudes de l’esprit
et de ces termes de comparaison que chacun tient du
milieu où il a grandi, et qui s’interposent dans nos
appréciations des hommes et des choses de l’étranger,
et nous les font apparaître sous des jours trompeurs.
En Orientales premiers indigènes qui se présentent
aux observations du voyageur sont ordinairement les
plus médiocres sujets des rangs serviles; des hommes
déclassés, qui ont tout à gagner avec l’étranger; des mécontents,
et ces gens mésestimés de leurs compatriotes,
ne fùt-ce que pour l’état fruste de leur caractère et de
leurs habitudes; et la plupart du temps, ces hommes,
soit légèreté, soit calcul, ne fournissent que des renseignements
inexacts ou même dénaturés.
Après s’être débarrassé de ces intermédiaires, il
faut découvrir la partie saine des indigènes, se faire
accepter d’eux, dissiper leurs défiances, démêler les
institutions, les habitudes qui forment comme la charpente
sociale, découvrir les centres où s’élaborent en
quelque sorte l’esprit national et qui régissent, souvent
sans le paraître, les impulsions générales ou particulières;
et quand on a pénétré cet organisme-, il est
nécessaire encore d’en suivre quelque temps le jeu,
afin d’en éprouver par soi-même les effets, et de distinguer
de l’action variable l’action permanente, qui
donne les grandes lignes, les grands traits delà physionomie
d’un peuple.
J’avais encore bien à faire pour arriver à ce degré;
cependant si peu initié que je pusse être au pays, je
n’ignorais pas que la mort inattendue du Dedjadj
Conefo pouvait influer sérieusement sur la politique
du Gojam. Dans l’attente des événements, le Dedjadj
Guoscho crut prudent de n’apporter à l’ordonnance
de sa maison, de son armée et de ses États, que des
changements insignifiants : il confirma par ban l’ordre
de choses existant, et, à l’exception des deux sénéchaux
qui restèrent auprès du Prince, seigneurs,
chiliarques avec leurs bandes, et jusqu’aux petits fiva-
tiers, to.us furent maintenus, pour l’hiver, dans leurs
fiefs ou cantonnements.
■ Je ne connaissais que depuis peu le nombre des enfants
du Dedjazmatch. Presque tous ses fils faisaient
partie de l’armée ; mais les rapports apparents de fils
a pere sont si peu différents de ceux de serviteur à
maître qu’il y avait lieu de s’y méprendre. Comme en
Europe, au moyen âge, la paternité d’un chef de maii.
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