On se rappelle que lorsque, au Caire, je proposai
au P. Sapeto de nous accompagner en Ethiopie, je
lui appris en même temps qu’il existait dans ce
pays une loi qui excluait tout prêtre catholique, et-
que cette loi avait fait plusieurs martyrs parmi
les missionnaires de la Propagande. Lorsque, arrivé
à Moussawa, je m’étais détaché pour aller chez le
Dedjadj Oubié lui demander l’autorisation de pénétrer
dans le pays, le P. Sapeto, que l’idée du danger
stimulait, avait généreusement insisté pour m’accompagner.
En entrant à Adwa, je l’avais présenté
aux missionnaires protestants comme un prêtre catholique,
et, après une pareille démarche, son caractère
sacerdotal ne pouvait rester un mystère pour personne.
Aussi, quelques jours plus tard, lorsque, immédiatement
après l’expulsion des Européens, le Dedjadj
Oubié m’autorisait à aller chercher mon frère et à
laisser séjourner le P. Sapeto dans ses États, comme
il contrevenait ainsi le premier à la loi' qui eût frappé
ce Père lazariste, il ne parla de lui que comme d’un
de mes compagnons, sans faire aucune allusion à sa
qualité de prêtre. Le P. Sapeto, venu pour affronter
le martyre, reprenait ainsi l’oeuvre des missions catholiques,
interrompue dans la haute Éthiopie depuis plus
de deux siècles. En trois mois environ, il avait su se
faire agréer par les indigènes et il avait célébré une
première messe. En conséquence, lorsque mon frère
était retourné en Europe, il lui avait donné pour la
Propagande des lettres annonçant ces heureux résultats
et demandant qu’on lui adjoignît d’autres missionnaires.
Mon frère s’était rendu-à Rome, où l’avait
précédé la nouvelle des succès du P. Sapeto,
auquel la Propagande avait adjoint deux autres
missionnaires lazaristes, sous la conduite de M. de
Jacobis, sacré depuis comme évêque d’Abyssinie. Le
Dedjadj Oubié' les avait accueillis favorablement, et,
quoique arrêtés dans notre voyage, nous avions déjà
la consolation de ne l’avoir pas tenté en vain, puisque
nous étions l’humble cause de l’introduction en
Éthiopie de prêtres catholiques destinés à relever la
réputation des Européens dans le pays. .
Nous étions convenus avec Ezzeraïe qu’après avoir
conduit mon frère jusqu’à la frontière des États d’Oubié,
il m’attendrait à Digsa chez son père, où je le rejoindrais.
Mais, au lieu de m’y attendre, il revint à Adwa,
en. me disant que son père et lui étaient trop inquiets
sur mon compte pour me laisser seul plus longtemps
dans une ville occupée par les gens d’Oubié.
Après un repos d’environ trois semaines à Adwa,
mon cheval s’étant remis, je me disposais à partir,
lorsque j’appris que le Dedjadj Oubié arrivait.
Afin d’éviter l’apparence d’une fuite, que ma conscience
n’autorisait en rien, j’attendis qu’il vint camper
près de la ville. Les principaux habitants se portèrent
à sa rencontre pour lui souhaiter la bienvenue et lui faire
leur cour; je ne fus pas inquiété, et le surlendemain, au
lever de la lune, je partis avec Ezzeraïe pour Digsa, où
nous arrivâmes sans encombre le deuxième jour.
Quand nous entrâmes chez leBaharNégach,Ezzeraïe
lui dit en me désignant :
— Je vous le ramène ; c’est à vous désormais de
veiller sur un fils de plus que mon attachement vous
a acquis.
Je trouvai chez le Bahar Négach une lettre de mon
frère qui m’apprenait qu’Aïdine Aga tenait au pied du
plateau de Digsa un piquet de soldats arnautes prêts à
m’escorter jusqu’à Moussawa. Mais la protection du
Banar Négach me suffisait.