avec une bienveillance croissante. Pour répondre au
présent qu’il m’avait fait, je lui donnai une espingole
qui parut lui faire grand plaisirt En apprenant que
notre bâtiment faisait le commerce, il manifesta le
désir de voir des échantillons, et j’en informai le ca-
'.pitaine, qui vint traiter avec lui une affaire assez importante;
et dès ce moment, les gens de notre bord
purent circuler librement dans la ville.
Au bout de quelques jours, le vent du sud s’étant
ralenti, le capitaine fixa le départ. Je fis mes adieux
au Shérif dont les façons me parurent jusqu’au dernier
moment dignes en tout d’un chef de son rang. Mais en
remontant à bord, j’appris qu’il avait fait faire des menaces
au capitaine, pour le cas où il lui représenterait
sa facture. Les marchandises étaient livrées; le capitaine
.crut prudent de laisser ce cadeau au Schérif, et
nous remîmes à la voile.-
Nous passâmes difficilement le détroit de Bab-el-
mandeb et, après quelques jours de vent contraire,
nous mouillâmes à Aden.
La ville d’Aden est située sur une petite presqu’île,
à l’extrémité S.-O. de la péninsule arabique, qui est
baignée par cette partie de l’Océan qu’on appelle quelquefois
mer du détroit." La presqu’île, au sud, se compose
de rochers incultes, stériles et accores qui s’abaissent
brusquement au nord et offrent un terrain bas, où
est situé un ramassis de huttes qu’on appellerait à peine
un bourg en France; un peu à l’écart, plusieurs grandes
et élégantes maisons construites à l’européenne
formaient le commencement de la ville anglaise qui
s'est élevée depuis. Les Anglais construisaient alors les
fortifications imposantes qui font d’Aden une station
maritime de premier ordre. On l’aborde facilement, du
côté de l’est, par un port affecté aux bâtiments de commerce,
et, du côté de l’ouest, par un mouillage sûr
appelé Back-bey, réservé aux bâtiments de guerre. Les
vents du nord et du sud, qui dominent dans ces parages,
sont interceptés par les hauteurs, ce qui fait
d’Aden un des endroits les plus chauds du globe.
Ce fut plein de joie et d’espoir que je pris terre :
j’allais revoir mon frère, reprendre les usages européens,
me reposer un peu, me retremper au contact
des officiers anglais, qui savent si bien accueillir et
comprendre les voyageurs et qui en fournissent eux-
m'êmes en si grand nombre. Ne rencontrant personne
dans la ville qui pût me renseigner, je me présentai
chez M. Heines, capitaine dans la marine indienne et
gouverneur d’Aden sous le titre d’agent politique. Il
parut d’abord surpris de ma visite; il m’apprit que
mon frère dont il ignorait l’état de santé s’était embarqué
pour Berberah; il me dit ensuite qu’ils étaient
en relations, et il finit par me montrer deux lettres de
mon frère et la copie des réponses qu’il lui avait
adressées. Le ton hostile de cette correspondance me
donna la mesure de leurs relations. Je pris congé de
M. Heines et mes perspectives s’assombrirent au sentiment
de mon isolement et des difficultés où devait se
trouver mon frère.
Suivi d’un enfant galla que j’avais amené du Gojam,
je parcourus la ville sans trouver où me loger : ni
hôtel, ni auberge, ni cabaret, ni caravansérail d’aucune
sorte; des casernes, des magasins, des maisons bâties
en tnadrépore, où les Banians et les Juifs tenaient leurs
boutiques; des huttes basses, sales et groupées à part'
servant de retraite aux nègres ou aux Sonîaulis venus
de la côte d’Afrique pour travailler aux fortifications
de la place, ou bien d’élégants pavjllons habités par
les officiers anglais ;■ aucun abri enfin pour un Euro