qu’ils ne se contiendraient plus. Mais l’effervescence
se calmaj on délibéra, on discuta longtemps et le
Conseil se dispersa.
Assis sur le seuil de la maisonnette, je cherchais
à prévoir la fin de toute cette affaire, lorsqu une
vieille esclave sortit d’une maison voisine, celle de
la femme du Sultan, en terminant une phrase en ama-
rigna. Je la saluai dans sa langue) elle s arrêta stupéfaite;
et quelques mots échangés établirent un lien
entre nous. Volée à une famille chrétienne dans le
Chawa et vendue à Toudjourrah, cette malheureuse
était devenue gardienne des deux filles du Sultan,
âgées de seize à dix-huit ans. Elle rentra chez ses
maîtresses, et bientôt, en passant près de moi, elle
me dit à demi-voix en amarigna
— Courage ! Le maître ne sait que faire ; persiste,
et tu resteras.
Quelques instants après, une quarantaine d’hommes,
armés dé boucliers, de coutelas et de javelines,
vinrent se grouper à quelques pas de moi. L’un d eux,
dont j’avais remarqué la violence durant le Conseil,
vint me sommer en mauvais arabe de m’embarquer
sur-le-champ. Je restai assis sans répondre, adossé
à la maisonnette. La troupe m’entoura.
— Tu n’as donc pas de sens? me dirent-ils. Que
te faut-il pour partir ?
— Ce que je vous ai dit: la sommation écrite ou
la contrainte.
Ils crièrent; plusieurs tournèrent leurs javelines
contre moi, et l’un d’eux tenta de me faire lever en
me tirant par lé bras. J’étais armé aussi; mais ma
résistance passive les décontenança : ils reculèrent,
s’entre-regardèrent ; et il était temps, car les uns
et les autres nous touchions à un de ces moments
où le jugement ne conduit plus la main. Ils se retirèrent
à une vingtaine de pas et s’accroupirent comme
pour délibérer encore. La nuit vint sur ces entrefaites,
et ils se dispersèrent.
Je restai Seul dans l’obscurité. Bientôt, le Sultan
vint vers moi, protégeant de la main un flambeau
allumé, et il m’invita à entrer dans la maisonnette,
ou nous soupâmes ensemble comme de bons amis.
En buvant le café, il me dit :
Tu as peu de jugement, ou bien tu te fies à
■ quelque puissant talisman. Je t’aime comme si tu étais
mon fils; mais je ne suis pas seul maître ici, et ta
présence soulève des questions difficiles. Tes compagnons
restés à bord doivent être inquiets ; va leur
donner le bonsoir, et demain matin, nous reprendrons
cette affaire qui finira peut-être par s’arranger.
Je lui répondis que mes compagnons étaient sans
inquiétude, puisqu’ils me savaient auprès de lui ; que
nous avions assez parlé tout le jour, et que le mieux
était de se reposer.
Il me regarda fixement, cligna de l’oeil et se mit
à rire.
— Le fusé'! dit-il ; comme les Français diffèrent des
Anglais ! Vous du moins, vous nous traitez comme des
semblables. Tiens, je souhaite que tu restes. Bonne
nuit; et qu’Allah nous réveille d’accord!
Je montai dans le fenil et je m’endormis sur le.
plancher, après avoir eu la précaution de tirer l’échelle.
Le lendemain, de bonne heure, des hommes vinrent
successivement par deux et par trois s’entretenir
avec le Sultan. Je déjeunai avec lui ; il me dit qu’on
allait se réunir et que notre affaire serait décidée le
jour même. Il voulait que notre patron de barque