cieux et raide sur sa mule. Il était précédé de ses timbaliers
et d’une soixantaine de porte-glaives, et suivi de
trois ou quatre cents notables portant tous le bouclier
au bras; des huissiers à cheval maintenaient un espace
vide autour de lui. En me voyant, il daigna hocher légèrement
la tète en murmurant un bonjour qu’un huissier
répéta à haute voix; il se retourna même par deux
fois et me fit dire de remettre mon bouclier à mon ser-
vant-d’armes. Je le laissai passer et je me joignis à ses
notables. Quelques minutes après, un fusilier me dit •
— Tu as là un beau cheval. Que ne le fais-tu parader
en tête de la colonne ? Cela ferait, plaisir au Dedjaz-
match.
Peu soucieux de me donner en spectacle, je répondis
que mon cheval était encore fatigué de son voyage
de Gondar.
Et quand tu lui donnerais la fourbure, reprit-il, tu
crois que Monseigneur n’a pas de quoi te dédommager?
Cet homme ne me dit pas qu’iL était envoyé par
Oubié, et je venais sans le savoir d’indisposer le Dedjaz-
match.
En arrivant à l’étape, le Dedjazmatch me fit inviter à
son repas, ainsi qu’un botaniste européen, venu comme
moi d’Adwa pour-lui faire escorte. La réunion était
nombreuse, et tout se passa dans le plus profond silence.
L’usage est qu’après le repas, les convives qui restent
debout et, parmi les convives assis, ceux qui sont de
condition inférieure se retirent d’abord ;,les plus considérés
pour leur rang ou pour leur âge se retirent les
derniers; et on laisse au tact de chacun le soin de régler
sa sortie. Les grâces étaient à peine achevées,
qu’un huissier s’avançant, la verge haute, dit à mon
compagnon :
— Lève-toi et va t’en.
Cet affront ne fut pas remarqué par le Prince; et
comme le moment eût été mal choisi pour s’en plaindre,
je crus devoir sortir avec mon compatriote, et nous
regagnâmes Adwa, en nous promettant de revenir sur
ce fait à la première occasion,
Les gens de la maison d’Oubié affectaient de faire
très peu de cas des Européens et les traitaient même
souvent avec insolence. A quelques exceptions près, le
très petit nombre d’Européens, qui jusqu’alors avaient
pénétré dans le pays, s’étaient contentés de voyager
dans les États gouvernés par Oubié ; ignorant la langue
et les moeurs, ils avaient dédaigné d’observer les usages
de politesse indigène, tout en se laissant aller trop facilement
à des manières d’être qu’ils n’auraient pas osé
avoir dans leur propre pays. En Amarigna et ex) Teg-
rigna, on tutoie ses inférieurs ou ses subordonnés s’ils
sont plus jeunes, souvent aussi ses égaux; mais quand
on veut être convenable, on emploie le vous avec son
égal et même avec son inférieur, s’il est plus âgé; et
l’emploi de la troisième personne est de rigueur lorsqu’on
s’adresse aux vieillards, aùx hommes d’un rang
élevé ou aux prêtres. Les Européens tutoyaient tout le
monde; aussi, étaient-ils traités de la même façon, quelquefois
même par leurs domestiques.. Enfin, nos manières
d’être .nous faisaient regarder comme des gens
naïfs, étrangers à toute civilité, colères, incapables des
•grands sentiments du coeur, parlant et agissant comme
l’homme du Danube, industrieux du reste, ingénieux
pour les travaux manuels et versés dans la connaissance
des philtres et des remèdes : ce qui nous faisait classer
tout d’abord dans les rangs inférieurs d’une société ou
l’homme bien élevé doit être au fait des convenances,
avoir quelques connaissances en histoire sacrée et nationale,
en musique, en poésie, en législation çoutu