pour moi, et nous- quittâmes Moussawa, pleins de
confiance dans l’avenir.
Nous arrivâmes sans encombre à Adwa.
J’envoyai à Maïe-Tahalo, en Samèn, un messager
pour saluer le Dedjadj Oubié, lui annoncer le retour
de mon frère, et le prévenir de notre intention
d’aller lui présenter nos hommages. Il fit une
réponse polie et nous envoya un soldat pour nous
faire héberger en route.
Désirant arriver sans délai à Gondar, et éviter à
mon cheval et a nos porteurs de bagages les difficultés
du chemin des montagnes, je les expédiai sous
la conduite d’un homme sûr par le chemin plus
direct des caravanes, à travers les bas pays, avec
ordre de m’attendre à quelques heures de Gondar,
sur la limite des États d’Oubié.
En quittant Adwa, j’eus le chagrin de me séparer
de Jean, domestique basque que mon frère venait de
m’amener de France. Je l’avais connu en Algérie, où il
achevait son temps de service militaire, et il m’avait
manifesté son regret de ne pouvoir me suivre lorsque
je quittai l’Algérie pour la Grèce. Lors de son retour en
France, mon frère ayant trouvé Jean libéré, lui avait
proposé de me rejoindre, et, en véritable Basque, Jean
n’avait pas hésité à entreprendre un long voyage pour
entrer à mon service. Mais sa sahté ne pouvait supporter
la rude vie qu’il avait à mener avec moi. Il ne se
remettait que difficilement d’une fièvre prise en passant
au Caire ; le manque de bon pain et de vin l’affaiblissait;
il était loin de s’en plaindre, mais il dépérissais
Je lui dis d’aller attendre mon retour dans une propriété
de ma famille au pays basque, où l’air natal le remettrait
; et à cet effet je le laissai à Adwa, pour qu’à la
première occasion il pût partir pour Moussawa et s’èmbarquer
pour Djeddah, d’où notre consul le repatrie-
rait. Je regrettai d’avoir à me séparer de ce fidèle compatriote,
quoique ses services en_Éthiopie m’eussent
été plus embarrassants qu’utiles. J’avais acquis suffisamment
l’expérience des voyages en Afrique, pour
savoir qu’il vaut mieux, sous tous les rapports, n’avoir
pour serviteurs que des indigènes. Parmi mes suivants,
il s’en trouvait quelques-uns dont le dévouement et la
fidélité n’eussent pu être dépassés par des compagnons
d’enfance, et je m’étais déjà aperçu que mes égards pour
Jean leur causaient de la jalousie ; il leur semblait que
j’avais moins confiance en eux. D’ailleurs, dans les parties
de l’Orient où les Européens n’ont point pénétré, la
domesticité existe avec des caractères qui diffèrent essentiellement
de ceux qu’elle a dans nos sociétés civilisées.
Quelles que soient les garanties qui entourent la
condition de domestique en Europe, elle est plus servile
qu’en Orient, où elle est regardée comme un prolongement
d'e la famille. En Éthiopie surtout, le contrat entre
maître et dépendant est un contrat implicite de foi et
de confiance mutuelles : les droits et les devoirs réciproques
n’y sont point définis. La sujétion de l’homme
à l’homme y étant regardée comme d’ordre naturel et
nécessaire, elle s’opère presque toujours sans stipulations,
soit de services à rendre,- soit de rémunération,
et l’absence même de contrat fait paître des
obligations qui semblent lier d’autant plus qu’elles
relèvent surtout de la conscience libre. Il semblerait
que les stipulations rigoureuses, en énumérant les
intérêts contradictoires, en les mettant en présence
et, en les armant le.s uns contre les autres, invitent
trop souvent à la défiance, aux rivalités et aux luttes.
De la façon si différente de la nôtre dont les Éthio