rière des armes offre le seul refuge à ceux qui
ont souci de leur dignité ; aussi les camps renferment
ils, à quelques exceptions près, l’élite de la
nation. Les cognats de la famille impériale dont le
nombre est grand, se font presque tous soldats.
Leur origine leur assure la considération, et, pour
peu qu’ils déploient des qualités personnelles, les
plus brillantes perspectives s’ouvrent devant eux. De
cette classe so n t. sortis la plupart des Ras, Dedjaz-
matchs ou autres Polémarques remarquables, comme
aussi les femmes les plus célèbres pâr leur beauté,
leur esprit et, il faut le dire aussi, par leurs désordres.
A ces princes et princesses on donne le
titre qualificatif de Waïzoro, de même qu’aux agnats
impériaux des deux sexes, et leurs concitoyens traitent
encore avec une déférence marquée ceux qui
ont droit à ce titre, quoiqu’ils l’aient vulgarisé en
le donnant à presque toutes les femmes, tout comme
en Europe on l’a fait de Madame.
Les agnats impériaux ne pouvaient avoir aucune
dotation territoriale. Ils ne possédaient la terre que
par héritage maternel ou du chef de leur femme,
et dépendaient, par conséquent, des libéralités de
l’Empereur régnant. La chute de l’Empire les a mis
dans un dénûment complet. Les plus dignes et les
plus heureux sont ceux qui vivent de la culture
d’un matrimoine d’ordinaire fort restreint. D’autres
ornent de peintures les murs des églises ou les
livres de piété, ou copient des livres d’heures, les
relient même; d’autres encore sculptent de petits
objets en bois ou peignent des diptyques. Ils vivent
petitement du produit de ces indüstriés, les seules qui,
aux yeux de leurs compatriotes, ne les fassent pas déroger.
D’après la croyance populaire, quand la famille
impériale aura satisfait a la justice divine par son
humiliation prolongée, un de ses membres relèvera,
avec le trône de ses ancêtres, les anciennes lois et
les constitutions, et les malheurs de la nation auront
leur terme. Par suite de cette croyance, aucun chef
ne voudrait accepter dans ses troupes un prince agnat.
Aussi, parmi ces princes, ceux qui laissent soupçonner
quelque ambition ou quelque^ qualités supérieures,
sont-ils les plus malheureux. Les hommes au pouvoir
étouffent leur fortune par tous les moyens et
les réduisent a se considérer heureux de pouvoir
s’assurer le pain quotidien. La principale ressource
de ces agnats consiste actuellement dans les aumônes
qu’ils reçoivent de quelques Dedjazmatchs.
Quelques-uns se tiennent à l’affût des événements
politiques et se font comme les clients de quelque
Polémarque, tel que celui du Tegraïe, du Bégamdir,
du Samen ou du Gojam, dans l’espoir de leur voir
acquérir un jour la prépotence, à l’abri de laquelle
ils pourront remplacer le simulacre d’Empereur qui
siège à Gondar.
Sahala Dinguil, dont je venais de guérir la femme,
et qui portait le titre d’Atse depuis quelques années
déjà, lors de mon entrée dans le pays, avait été
deux fois détrôné, sans bruit, par son patron le Ras
Ali, Gouverneur de Bégamdir, dont relève la ville
de Gondar; mais, chaque fois, il avait été rétabli
dans sa majesté dérisoire, grâce à la croyance populaire
que tant qu’il serait Atsé, il ne devait y
avoir ni peste ni famine, et que la famille . de
Gouksa se maintiendrait au pouvoir.
‘‘ G°ndar, dernière capitale de l’Empire, a été fondée
par l’Atsé Facilidas, peu de temps après l’expulsion
de la Mission portugaise. Quelques érudits