fruitier. Il la féconde par ses efforts ; il passe ;
la terre l’engloutit et reverdit au soleil. Qu’est-ce
qu’un propriétaire dont l’objet est plus fort que lui?
Détenteurs de terres nobles et tenanciers de fiefs,'
il n’y a pas de droit de* suzeraineté héréditaire.
Dieu le donne à qui il lui convient; il me l’a
donné, à moi, G-ouksa ! Je suis le seigneur du sol :
toute terre relève de moi, et- c’est moi seul qui la
dispense à mon gré! Femmes nobles et seigneurs,
tenanciers de fiefs, présentez-vous ; je confère rang
et investiture ! Que ceux qui ne m’aiment pas s’éloignent
dès cette heure ! Laboureurs, labourez ; trafiquants,
continuez votre trafic. C’est moi qui- suis
votre droit et votre force! Hommes et femmes nobles,
cavaliers et gens de guerre, venez vous ranger autour
de moi! )>
On comprend difficilement que Gouksa ait osé
proclamer ainsi par ban, en Bégamdir, où sa puissance
n’avait aucune racine, et où les populations
étaient encore frémissantes, que le droit de propriété
était révocable. Mais que ne peut-on pas
faire- d’un peuple divisé ! Gouksa avait eu soin de
faire répandre la croyance qu’une certaine classe
de propriétaires faisait seule obstacle à la bonne
administration de ses États et au bonheur régulier
des cultivateurs, et que ses sujets seraient heureux, le
jour où ils deviendraient tous égaux devant lui. Cette
classe se composait des propriétaires de terres allodiales,
nobles on roturières, parmi lesquelles les unes
étaient censables, les autres censéables. Ces propriétaires
formaient la classe la plus indépendante de.
la nation et la plus nombreuse après celle des laboureurs
, dont ils partageaient les préoccupations et
les intérêts, et dont souvent même ils épousaient
les filles. Malgré le droit d’aînesse-, l’admission de
plus en plus fréquente de la femme à l’héritage
territorial tendait à restreindre leurs héritages, et
*par la modicité croissante de leur fortune, à les
faire rentrer dans la catégorie des paysans, à la
circonstance près que leurs terres restaient allodiales,
quelquefois même saliques. Cet état de choses leur
donnait sur le paysan une influence qui leur permettait
de l’entraîner à résister avec- eux aux exactions
des seigneurs de grands fiefs que les empiétements
des Atsés avaient rendus amovibles, et qui,
depuis la chute du trône, tenant leur investiture
annuelle des Dedjazmatchs, étaient devenus les instruments
de leurs maltôtes. D’autre part, ils étaient
les meilleurs soldats des Dedjazmatchs et Polémar-
ques; la plupart servaient quelques années, ne fût-ce
que pour acquérir l’expérience des affaires et ce relief
que confère aux yeux du peuple la qualité d’ancien
militaire; beaucoup vivaient dans les cours
des Dedjazmatchs, où ils occupaient les plus grandes
charges. Depuis la chute de l’Empire, cette classe
d’hommes qui formait comme le coeur de la nation,
a fourni un grand nombre de chefs de guerre célèbres
et de Polémarques. En assimilant leurs terres
allodiales aux terres de fiefs amovibles, Gouksa augmentait
ses revenus d’un chiffre considérable et
brisait la dernière et la plus redoutable résistance
que le Bégamdir pût opposer à la domination d’une
famille impatiemment supportée, surtout à cause de
son origine et de ses traditions musulmanes.
Le paysan applaudit : il ne sentait pas encore
que cette mesure égalitaire empirait sa situation,
puisqu’elle lui enlevait ses derniers défenseurs, qui
allaient naturellement grossir le nombre de ses tyrans,