valeur à la fois civile et militaire. Ils prétendent
qu’affaiblir ou effacer le caractère civil de l’homme
de guerre est un acte immoral, qui tend à faire de
lui un monstre tuant et détruisant pour le seul fait
de tuer et de détruire; que la qualité,de soldat ne peut
être justifiée que par celle de citoyen convaincu de
l’équité de la guerre qu’il fait; aussi, accordent-ils
la préséance sur les engagés volontaires, à ceux qui
font campagne pour acquitter un service militaire
attaché à leur propriété foncière. Ils disent que les
premiers sont des malfaiteurs; que leurs faits de
guerre sont autant de crimes aussi injustifiables que
ceux des autres sont dignes d’éloges. Ils disent que
le dédoublement des fonctions de citoyen et de soldat
est dégradant ; que l’homme perd de sa valeur
et de sa dignité en confiant à autrui le soin de le
défendre, et que celui qui accepte ce soin devient un
être anti-social et un instrument tout fait pour la
tyrannie.
Tant que dura l’Empire, tout possesseur de terres,
même ecclésiastiques, était tenu de suivre l’Empereur
à la guerre; ceux dont les fonctions impliquaient
l’interdiction de répandre le sang de leurs mains,
devaient s’en abstenir, mais leur présence était regardée
par leurs concitoyens comme une sorte de justification
de la guerre. Aujourd’h u i, on voit encore
dans les armées des homipes qui de leur vie n’ont
brandi le sabre ou la javeline, soit à cause de leurs
fonctions, soit à cause de leur nature pacifique ; la
plupart repousseraient comme un déni de leurs droits
l’interdiction de faire campagne. Un jour, quelques
indigènes, après avoir écouté attentivement le récit
des merveilles accomplies par nos armes sous Napoléon
Ier, me dirent qu’on se bat partout et que partout
on s’entre-détruit ; et ils se félicitaient de ce que
leur nation n’ayant pas fait de la guerre, comme les
nations européennes, un métier et une science, cela
ne donnait point lieu chez eux à cette distinction,
qui existe chez nous, entre les initiés au métier des
armes et l,es profanes. Chaque citoyen étant soldat
reste investi du soin de sa propre défense, comme de
celui de concourir à la défense de ses frères, et cette
double investiture, unissant intimement la vie civile
et la vie militaire, épargne au soldat comme au citoyen
l’humiliation de son insuffisance, et renforce
par l’idée d’une valeur double, l’idée morale que les
Éthiopiens se font de cette double face de la vie de
l’homme. Ils ajoutaient que malheureusement ils pratiquaient
l’éviration sur le champ de bataille; mais
que nous autres, en Europe, nous pratiquions une
éviration morale plus désastreuse encore, en dégradant
le citoyen dont nous faisons un soldat irresponsable,
et en dégradant le soldat auquel nous enlevons
sa qualité de citoyen. Ils avaient de la peine
à comprendre qu’il pût exister simultanément chez
nous un code de lois militaire et un code de lois
civil. — Dieu a.donné même aux animaux, disaient-ils,
les organes nécessaires pour se procurer leur subsistance,
comme aussi pour la défendre; ces deux actes
sont aussi légitimes et naturels l’un que l’autre. Pourquoi
couper aux uns dents et griffes et les laisser pousser
aux autres ? C’est dangereux pour un pays. Votre
mode de lever les armées peut avoir du bon ; mais nos
compatriotes ne l’accepteraient pas. Du reste, il faut
croire que le monde entier marche à sa perte, car
nous sommes en train de vous imiter avec nos bandes
de wottoadders, gens sans feu ni lieu, qui ont aban